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dérobées[1]. Rien donc ne paraîtrait plus aisé à première vue que d’en finir avec cette armée du mal : est-ce la loi qui s’y oppose ? Non vraiment, et nous étonnerons sans doute beaucoup d’Anglais en leur apprenant qu’il ne tiendrait qu’à leur police de frapper un grand coup d’autorité sur tous les hommes dangereux. Un des statuts du livre de la justice, datant de près d’un siècle, déclare que « toute personne réputée voleuse qui fréquente des rues et des places publiques, fournissant plus que d’autres des occasions pour attenter au bien d’autrui, peut être conduite devant les magistrats, condamnée et envoyée en prison. » D’où vient ; donc que cette disposition si claire de la loi n’a jamais été exécutée ? Simplement de ce qu’elle s’écarte tout à fait des principes généraux, de la jurisprudence anglaise et de ce qu’elle blesse au vif un sentiment de droit naturel incarné depuis longtemps dans les mœurs. Juger les intentions ; voilà qui est beaucoup trop contraire à l’esprit et au caractère de nos voisins pour qu’ils se servent arbitrairement d’une telle arme. Aussi combien la pratique diffère sur ce point de l’article du code que nous venons de citer ! L’individu le plus mal famé circule librement en plein jour dans les rues de Londres et défie en quelque sorte les regards de la police pour avoir le droit de l’arrêter, il faut qu’on le prenne, comme on dit, la main dans le sac[2]. Des bandes de malfaiteurs se transportent même d’un lieu à un autre toutes les fois que certaines occasions, comme les courses de chevaux ou l’ouverture d’une exposition d’objets d’art, appellent un grand concours de visiteurs dans l’une des villes de l’Angleterre. Il est vrai que la police est presque toujours avertie de leurs mouvemens et les suit d’un pied agile. Lors de la fièvre du garrotage[3], un sombre groupe d’hommes se livrant par état à ces perfides attaques avait quitté Londres pour Manchester. Arrivés vers le tomber de la nuit au terme de leur voyage, ils descendaient à petit bruit d’un des wagons de troisième classe quand ils furent priés par les inspecteurs de les suivre dans une des salles du

  1. Le nombre de ces maisons s’élevait la même année (1858) à 3,122.
  2. Il en est autrement pendant la nuit : tout constable qui voit un homme à mine suspecte rôder autour d’une habitation, est autorisé à le conduire à la station de police ; seulement ce dernier sera mis le lendemain en liberté, si aucune charge positive ne s’élève contre lui devant le magistrat.
  3. De 1862 à 1863, la terreur régnait la nuit dans les rues de Londres. Un mode d’exécution connu en Espagne sous le nom de garrotta avait donné à certains voleurs anglais l’idée d’attaques à l’improviste qui avaient très souvent des conséquences fatales. Pour exécuter dans la perfectionne genre de vol accompagné de violence, il fallait généralement trois hommes : le premier marchait devant la victime et donnait l’alarme à ses complices en cas de danger ; le second, du bras droit, serrait le passant au cou, et le troisième fouillait les poches du malheureux à demi étranglé.