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est perchée trop haut. Soyons justes, on ne peut pas exiger que l’administration place bien un tableau, s’il n’est recommandé que par lui-même. Cette Élégie n’est qu’une académie, mais excellente et charmante, du goût le plus irréprochable, du ton le plus juste et le plus fin. M. Parrot a un petit portrait, pas plus grand que les deux mains, mais exquis. La Médée de M. Klagmann est un tableau complet, et l’un des meilleurs du Salon. Les trois figures, bien dessinées et largement peintes, ne doivent rien à personne, pas même à Delacroix. Il y a longtemps qu’un débutant ne s’est présenté au public avec les qualités magistrales que je constate chez M. Klagmann. La Toilette, de M. Henner, représente une femme courte, épaisse, hommasse, aux jambes lourdes et engorgées. Que de talent gaspillé dans cet ouvrage ! Quelle science du modelé ! quelle entente du clair-obscur ! quelle suavité dans les ombres, qui rappellent le faire d’André del Sarto ! Malheureusement la perfection du détail ne sauve rien, dans aucun art, si le parti général est manqué. Le Saint Paul de M. Thirion n’est pas une de ces peintures séduisantes qui attirent la foule ; cependant, pour ceux qui ne craignent pas de s’arrêter devant un tableau de religion, c’est une œuvre d’un goût pur et d’une exécution remarquable. La Vénus de M. Saint-Pierre et la Nymphe de M. Hugrel sont plus et mieux que des études de femme. M. Saint-Pierre expose un groupe ingénieux, bien composé, d’un dessin peut-être un peu mou, mais d’une couleur distinguée. Le tableau de M. Hugrel nous offre les mêmes qualités à un degré supérieur, et sans le défaut de mollesse. Bon tableau, fait à bonne école, et qui se sent de son origine. Je ne vois jamais un travail des élèves de M. Gleyre sans me demander quels déboires, quelles injustices ont éloigné de nos expositions ce peintre exquis et ce maître d’un goût infaillible.

M. Alma-Tadéma, qui s’est presque fait un nom par des chinoiseries, abandonne tout à coup la curiosité pour l’histoire : grave imprudence, mais utile enseignement et que je tiens à signaler. Les peintres qui débutent par des tableaux archaïques se persuadent aisément et font croire au public lui-même que tous leurs défauts sont voulus, que chaque erreur de dessin, chaque solécisme de perspective, chaque tache est imitée des primitifs, et qu’il faut un mérite hors ligne pour arriver à faire si mal. Ils obtiennent des médailles, les administrations leur commandent des tableaux, ils prennent place dans les musées ; mais le jour où, soulevés par le succès, ils se risquent à peindre au naturel une figure nue ou drapée, on découvre avec stupéfaction qu’ils ne savent pas les premiers principes, l’orthographe de l’art ! Voyez cette grande frise où M. Alma-Tadéma, représente la sieste. Les noirs intenses qui trouent la toile en cinq