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donc temps qu’ils se souvinssent que sa majesté tenait le glaive de la loi pour frapper les mauvais prêtres et les traîtres à l’état. En général, poursuivait la note, il faut laisser entrevoir dans le discours que, si on leur fait leur procès, comme on ne connaît pas de juridiction ecclésiastique en France, il n’y a rien qui empêche qu’ils ne soient condamnés... Ils doivent apercevoir aussi que c’est parce qu’on les considère déjà comme condamnés qu’on ne veut plus qu’ils portent les distinctions ecclésiastiques ni le costume des cardinaux[1]. »


« Les ordres que votre majesté a donnés mercredi ont été ponctuellement exécutés, répond aussitôt le comte Bigot de Préameneu. Les treize cardinaux ont été réunis chez moi dans la même journée. Je leur ai parlé avec toute l’énergie dont je suis capable, et ils sont restés dans un état de confusion et de stupeur[2]. » Ce que le comte Bigot de Préameneu ne dit pas, c’est que Fouché avait assisté à l’entrevue, et qu’il avait paru, aussi bien que lui-même, assez touché de la réponse des cardinaux. Ils avaient en effet très doucement représenté que, s’ils avaient tenu la conduite qui leur était reprochée, c’était par devoir et non à coup sûr pour leur plaisir, qu’ils ne s’étaient point cachés de leur intention, puisqu’ils l’avaient annoncée au cardinal Fesch, à l’oncle même de l’empereur, comme étant leur collègue, et pour donner, en se servant de son intermédiaire, le moins de publicité possible à la chose, que c’était en vérité une manière toute nouvelle de conspirer que d’avertir celui contre lequel le complot était dirigé. Consalvi n’oublia pas de rappeler qu’il avait proposé un mezzo termine qui, s’il avait été adopté, aurait évité tout esclandre. L’accusation flétrissante de rébellion qu’on voulait faire tomber sur leur tête était donc aussi mal fondée qu’injurieuse à leur caractère et à leur dignité; c’était là surtout ce qu’ils priaient le ministre des cultes de faire connaître à sa majesté, car c’était la seule chose qui leur tînt au cœur, étant préparés à tout le reste[3]. L’idée d’une lettre à écrire à sa majesté fut alors mise sur le tapis par les deux ministres, évidemment très contrariés de la mission qu’ils avaient à remplir, et qui redoutaient ouvertement un éclat, « non pas seulement, disaient-ils, par intérêt pour les cardinaux, mais aussi pour le bien de l’empire, ne sachant pas trop comment tout cela allait finir[4]. » On se mit à discuter devant eux les termes de la lettre; mais parmi les cardinaux, tous

  1. Note en date du 5 avril 1810 écrite tout entière de la main du duc de Bassano. Cette note n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.
  2. Lettre du comte Bigot de Préameneu à l’empereur. 6 avril 1810.
  3. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 208.
  4. Ibid.