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d’ouvrages. C’est le genre bien compris, quelle que soit l’inégalité des talens qui s’y appliquent. M. Delort et M. Leloir ont peut-être l’étoffe de deux peintres d’histoire, tout dépend de leur patience et de leur modestie ; ils sont perdus, s’ils croient n’avoir plus qu’à produire quand il leur reste beaucoup à apprendre. M. Delort est presque un écolier, mais spirituel et doué d’une couleur vraiment aimable. M. Leloir est plus complet, plus fort, avec un peu moins de charme inné. Le sujet qu’il a traité fut donné en programme à certain concours du prix de Rome et refusé par les élèves comme trop savant pour leur jeune érudition ethnographique. Je suppose que le ministère a commandé le tableau à M. Leloir pour que l’idée neuve et pittoresque que l’école avait rejetée ne fût pas tout à fait perdue. L’expérience a réussi ; la toile de M. Leloir tiendrait son rang dans la collection si curieuse des prix de Rome. La Sérénade de M. Bertrand est une jolie composition, traitée d’une main légère, dans un sentiment tendre et doux, — un vrai sourire de la jeunesse.

M. Brion est un homme fort avancé dans son art. Il ne s’amuse pas à rétrograder par bravade ou par mépris du public, comme M. Muller, qui peint des Desdémone et des écoliers plus dignes d’un café chantant que d’un musée. S’il se trompe quelquefois, c’est en cherchant des voies nouvelles, comme le jour où il s’avisa de noyer le créateur dans un océan de crème ; mais, lorsqu’il rentre dans son domaine, il excelle. Sa Lecture de la Bible chez les protestans d’Alsace est un tableau complet et l’un des meilleurs assurément qu’on nous ait offerts cette année. Avec moins de savoir, mais beaucoup d’esprit et de goût, M. Bource, un peintre belge, nouveau chez nous, si je ne me trompe, a retracé deux jolies scènes de la vie laponne. M. Emile Lévy, toujours sentimental et toujours inégal, se trompe assez régulièrement un an sur deux. 1868 n’est pas une de ses bonnes années. Ses Idylles représentent deux éphèbes mous et beurrés, dont un aveugle, en conversation vagabonde avec deux poupées de porcelaine.

MM. Vibert, Worms et Zamacoïs, — je ne saurais les séparer, tant ils se ressemblent, et je suis bien tenté de leur adjoindre le Romain Simonetti, — poussent la peinture de genre à la caricature. Ils le font avec beaucoup d’esprit ; le Barbier ambulant de M. Vibert et les Trinitaires de M. Zamacoïs sont deux charmantes compositions, bien peintes, puisqu’il est en tendu que tout le monde sait peindre aujourd’hui, mais d’un badinage qui dépasse imperceptiblement les limites de l’art. Le tableau de M. Simonetti a le tort d’être beaucoup trop grand pour une simple charge ; les plus courtes folies sont les meilleures, dit-on.

Le comique en peinture est une erreur. Il attire, amuse et