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le solide de l’homme ; il fait la part de la postérité. Ces portraits historiques ont un charme sérieux et puissant, ils attachent plutôt qu’ils n’attirent, on y revient souvent, et l’on y trouve toujours du nouveau. C’est un art concentré qui ne dit pas son dernier mot aux passans, mais qui en apprendra bien long à nos arrière-petits-fils sur les notables de ce siècle.

Le portrait du prince de M. S. par M. Giacomotti est conçu dans un tout autre esprit, mais parfaitement heureux en son genre. Vous diriez qu’il s’est fait tout seul, et qu’un jeune homme de bonne mine, riche, brillant, content de vivre, est entré par hasard dans l’atelier du peintre, a fumé une cigarette, raconté une histoire, ri un bon coup et oublié sa tête en sortant, comme un autre oublie sa canne ou son chapeau.

Les grandes dames qui honorent M. Cabanel de leur confiance n’ont pas eu la main heureuse cette année. L’auteur de tant de portraits justement admirés se livre à des exercices de demi-teinte dont ses modèles ont à pâtir. Voilà deux beaux visages déformés par un malencontreux emploi du clair-obscur. L’ombre fait coup de poing sur la joue et dépare des ouvrages fort distingués d’ailleurs et de haut style. M. Jalabert, M. Landelle, M. Chaplin, ont réussi comme à leur ordinaire, mais sans se surpasser eux-mêmes. MM. Winterhalter et Pérignon continuent à embellir les plus belles personnes de la plus belle moitié du genre humain ; laissons-les faire.

M. Edouard Dubufe nous ménageait une surprise. Il faut lui rendre cette justice qu’il ne s’est jamais endormi sur son oreiller de roses. Ce peintre en titre des élégances mondaines contente plus aisément son public que lui-même. Aujourd’hui il nous montre deux portraits d’homme qui sont jusqu’à nouvel ordre ses deux meilleurs ouvrages. Le prince P. D. rayonne de beauté et de jeunesse, il a tout à fait grand air. Le portrait de M. Hippolyte Mosselmann est d’un nerf et d’une vigueur remarquables, un peu sec peut-être, mais vivant, spirituel et gai, l’humour en personne naturelle.

Une bien jolie tête d’enfant signée de M. Glaize fils, un bon portrait de femme par M. Lobrichon, une curieuse imitation de Goya par M. de los Rios, un beau bourgeois, bien carré, bien vigoureux et très malin, rendu au vif par M. Bonnegrâce, un Théodore de Banville quelque peu surchauffé au feu qui brûle chez M. Dehodencq, un estimable Ingres par M. Haro, un fort bon portrait d’homme par Mme Anselma, se recommandent à votre attention par des mérites très divers. Ceux de M. Glaize fils et de M. Lobrichon sont particulièrement remarquables ; mais parmi les talens nouveaux, si j’avais à les classer, je donnerais le second rang à M. Regnault, auteur d’un grand portrait rouge d’une tournure et d’une