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huit fragmens d’un beau dessin, d’une indication franche et hardie, puis la Maison de Plinius Rufus, rendue avec goût et conscience, mais un peu sèchement, par M. Letourneau. Le palais tunisien de M. Chapon, que nous avons vu construire au Champ de Mars, fut un charmant spécimen d’architecture orientale. Le style en était franc et d’une irréprochable pureté. De cette œuvre admirée par l’Europe, que reste-t-il ? Trois dessins exécutés avec beaucoup d’éclat par le jeune artiste.

Le monument commémoratif de la victoire du Callao fait le plus grand honneur à M. Hénard. C’est un projet remarquable, original, parfaitement étudié. Le Château de Pau, par M. Lafollye, représente quatorze dessins, travail considérable, de longue haleine, de grand savoir et de vrai talent. Les projets des théâtres de Reims, d’Alençon et de Tours, par MM. Gosset, Hédin et Rohard, ont la même qualité et le même défaut : plan logique, bien fait et commode, décoration prétentieuse et surannée. L’Église de Ham, un gros travail de M. Corroyer, ne manque pas de mérite, celle de Châteauroux, par M. Conin, a de bonnes façades gothiques ; mais la palme appartient, si je ne me trompe, à M. Ruprich-Robert pour sa belle Église de Flers. Le Temple Israélite de Lyon, par M. Hirsch, présente un bon ensemble et une estimable étude de l’architecture romane. La Chapelle du château de Vincennes nous révèle un bon élève de M. Viollet-le-Duc, j’allais dire Viollet le gothique, dans la personne de M. Sauvageot. L’hôtel exécuté à Nancy par M. Vionnois manque de goût et de simplicité, ce qui le gâte, car les plans en sont bien disposés. Quant à la Villa impériale de M. Poix, elle est d’un style bâtard qui flotte entre le Louis XIV et le Louis XV, et j’estime qu’elle embellira médiocrement la place de Deauville ; mais M. Poix lui-même présente son projet sous une couleur séduisante. On n’imagine pas la somme de talent qui se dépense à parer pour cette exposition la médiocrité des moindres architectes. Si l’invention n’y brille que par places, le talent d’exécution y est admirable presque partout. Jamais l’habileté de main n’a mieux couvert l’indigence des idées. En résumé, l’architecture française en 1868 est moins un art qu’un système d’imitation éclectique. La peinture incline à vue d’œil vers la production industrielle. Les sculpteurs seuls suivent avec constance et désintéressement la tradition des maîtres ; mais on n’a pas encore vu poindre, même en sculpture, un style qui caractérise le temps présent.


EDMOND ABOUT.