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expédition d’Égypte ; le point de départ des découvertes vient tout entier de Champollion. Par ce trait de génie qui assure à son nom un éternel honneur, ce n’est pas seulement sur l’Égypte qu’il a porté la lumière. La clé des hiéroglyphes une fois retrouvée, l’exemple ainsi donné, ce premier voile déchiré, les esprits en travail, tout devenait possible : il n’y avait plus d’énigme impénétrable. Quant à l’Égypte même, l’événement a dépassé, et de beaucoup, les prévisions de Champollion et les calculs de l’Europe savante applaudissant à ses premiers efforts. On pouvait croire que ces signes bizarres n’exprimeraient, à en juger par le caractère même des monumens dont ils tapissent les parois ; que des formules générales, des vérités Impersonnelles, des sentences, des lois, de solennels témoignages d’une antique sagesse ; on ne s’attendait pas aux notions les plus particulières, les plus variées, les plus anecdotiques, aux plus précises informations, aux documens les plus officiels. Les monumens de la vallée du Nil ont donc donné bien au-delà de ce qu’on s’en promettait ; ils ont raconté tant de faits, tant de dates, tant de détails, qu’il en résulte un fonds complet d’histoire, et qu’après trente ou quarante ans à peine, encore presque au début de cet immense déchiffrement, on en sait déjà plus sur les temps les plus reculés de cette mystérieuse Égypte, on voit plus clair dans ses primitives annales que dans certains préludes de notre propre histoire d’Occident.

Le dédale des dynasties, par exemple, inextricable jusque-là, commence à s’éclaircir. Nous connaissons, à peu de choses près, toutes ces familles, toutes ces tribus royales, de sang, de race, de pays différens, qui chacune pendant deux ou trois siècles ont régné sur l’Égypte. Se sont-elles toutes succédé ? N’en est-il point qui furent contemporaines ? N’y a-t-il pas eu des temps où les rives du Nil, coupées en divers tronçons, en royaumes distincts, ont vu régner en même temps ; à Memphis, à Thinis, à Thèbes, plusieurs de ces familles, — ce qui permettrait d’attribuer à la royauté égyptienne une durée moins prodigieuse que si l’on range l’une après l’autre ces trente et une dynasties ? La conjecture semble plausible ; seulement on répond qu’à compter de la sorte ce n’est plus trente et une, mais soixante-six dynasties qu’il faut énumérer. La question reste donc douteuse et ne sera tranchée que par de nouvelles découvertes. Ce qui est au contraire déjà tout éclairer et autrement important, ce qui nous ouvre des perspectives vraiment nouvelles ; c’est là preuve désormais acquise qu’à certains intervalles l’Égypte a été la proie de peuplades barbares qui T’ont envahie, saccagée, asservie, et fait descendre de la plus splendide civilisation à un état inculte et dévasté. Deux fois l’empire des pharaons a passé par ce cataclysme, et deux fois, après des siècles de sommeil, il