Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romaine, tant célébrée par eux, si pleine de merveilles, la civilisation de l’Assyrie, les splendeurs de Ninive et de Babylone, qu’en restait-il, et qu’en pouvait-on croire ? quel commencement de preuves, quel fragment, quel indice ? De la poussière, du sable et rien de plus, — rien, pas même l’indication certaine des lieux où avaient existé ces deux grandes rivales. Ce n’étaient pas comme Thèbes et Memphis des villes de granit, c’étaient des cités de briques à revêtemens de marbre : autres matériaux, autres ruines. Dans ces immenses plaines onduleuses, on voyait bien çà et là des monticules dont le profil un peu plus relevé trahissait des amas de débris ; mais le sable couvrait et arrondissait tout cela ; rien d’anguleux, rien d’apparent n’attirait le regard et n’excitait chez les rares voyageurs traversant ces déserts la moindre curiosité.

Il fallait donc une étrange fortune, un coup du ciel pour que ce sol fût interrogé : la chance naturelle était que la pioche ne l’entamerait jamais, et que ce monde finirait sans que remplacement des deux villes fût seulement reconnu. Eh bien ! allez au Louvre, allez au British Museum, voyez ce que depuis vingt-cinq années ces deux grands dépôts ont acquis de documens, de témoignages, de preuves palpables et authentiques sur l’Assyrie, sur ses mœurs, ses arts, son culte, sa civilisation ! Voyez comme ces sculptures sont intactes et conservées ! Quelle fraîcheur, quelle vivacité d’arêtes ! Elles ont franchi tous ces milliers d’années, conservées dans ce sable comme dans du coton ! Rien n’y manque, depuis les colosses fantastiques monté hommes, moitié taureaux, les lions en combat avec l’homme et tous les autres mythes des dogmes asiatiques, jusqu’aux scènes les plus variées de la vie sociale, la guerre, la chasse, la pêche, la moisson, la construction des édifices, l’érection des monolithes, toute l’histoire d’un peuple, en un mot sa légende en action, sa vie la plus intime. Jamais par un coup de théâtre on n’est passé d’une nuit plus profonde à de plus complètes clartés. Et ce ne sont pas seulement des documens plastiques, des silhouettes, des corps, des images en relief, que sous ces monticules M. Botta, M. Layard, M. Loftus, sont allés découvrir ; ils ont fait aussi ample récolte de monumens écrits. Des inscriptions innombrables couvraient ces pans de murs restés debout et exhumés par eux, inscriptions qu’au premier abord on put croire encore plus mystérieuses et plus indéchiffrables que les hiéroglyphes de l’Égypte, tant la bizarrerie et l’apparente confusion de ces caractères cunéiformes semblaient défier la patience des plus sagaces et l’habileté des plus persévérans ; mais rien ne résiste aux procédés de la méthode moderne : après quelques années, l’obstacle était franchi ; l’Assyrie avait ses Champollion. Burnouf, quand la mort le surprit dans sa vaillante course, était déjà sur la voie : sir Henry