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modérée. Qu’eût dit de plus M. Pouyer-Quertier, si le libre échange eût triomphé complètement ? Il n’a eu tout au plus qu’une demi-victoire. Or dans ces termes quelle est l’influence réelle de la réforme commerciale sur la situation actuelle ? C’est ici surtout qu’on se bat à coups de chiffres.

A entendre M. Pouyer-Quertier, tout était prospérité jusqu’en 1860 ; à partir de ce moment, tout décline et périclité. La métallurgie se meurt, l’industrie des tissus de coton, de laine, de lin, dépérit, l’agriculture souffre de la suppression de l’échelle mobile, la marine marchande est en danger. D’un autre côté, on n’a nullement réalisé le programme de la vie à bon marché, dont on se flattait de faire une vérité. En un mot, une crise immense s’est ouverte et persiste sans qu’on puisse en entrevoir la fin. M. Pouyer-Quertier commet l’étrange erreur d’opposer arbitrairement deux périodes dont le point d’intersection serait cette date de 1860, en mettant au compte de la protection la prospérité d’autrefois et les épreuves d’aujourd’hui au compte de la réforme commerciale. Qu’une crise des plus graves, des plus profondes, des plus complexes, existe depuis quelques années et se prolonge avec tous les caractères d’une maladie de langueur, c’est ce qui frappe tous les regards. La puérilité est de faire de la réforme des tarifs la grande et unique coupable. Si la guerre civile des États-Unis est survenue tout à coup et a retiré brusquement le coton du marché européen, est-ce parce que le traité avec l’Angleterre a été signé ? Si l’industrie des laines et des lins a pris un développement considérable et jusqu’à un certain point artificiel en l’absence du coton pour s’alanguir le jour où le coton a reparu, est-ce la liberté commerciale qui est coupable ? S’il y a eu de mauvaises récoltes réagissant sur le marché des subsistances, est-ce la suppression de l’échelle mobile qui a fait le mal ? Si même dans la métallurgie, où les souffrances sont effectivement plus grandes, beaucoup de forges se sont éteintes, est-ce uniquement parce que la réforme de 1860 a été accomplie ? Beaucoup de ces établissemens n’étaient-ils pas en train de mourir de leur belle mort ? Si aujourd’hui l’industrie a tant de peine à retrouver son équilibre et son essor, est-ce la faute de la liberté commerciale ? En réalité, cette grande et douloureuse crise, qui n’est pas particulière à la France, est la conséquence d’une multitude de causes intimes ou éclatantes agissant à la fois. Elle est due justement à cet excès de prospérité et de développement industriel dont M. Pouyer-Quertier fait honneur à la période antérieure à 1860. Elle est due à la guerre d’Amérique, aux mauvaises récoltes, aux perturbations laissées par des événemens imprévus, à cette absence d’équilibre qui éclate partout entre les ressources et les dépenses. Elle est aussi le résultat naturel, quoique toujours pénible, de ces transformations incessantes qui après tout s’appellent le progrès, qui font que certaines industries anciennes périssent