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voudraient, comme on leur en donne le conseil, intervenir, et, pour calmer les esprits, suspendre quelque temps les pouvoirs d’un tribunal abhorré. Toutefois l’inquisition est une trop grande puissance pour qu’ils osent prendre sur eux-mêmes de commencer contre elle ces périlleuses hostilités. On conseille encore un appel à Rome ; mais cet appel ne peut venir d’eux : il n’appartient qu’au roi de mettre Rome en mouvement au sujet d’un ordre religieux. Il n’est pas sûr d’ailleurs que l’inquisition ne soit pas en faveur auprès du roi Philippe. Frère Nicolas, son confesseur, n’est-il pas dominicain ? Avant d’agir, les réformateurs prendront les ordres du roi.

Chargés, il y a quelque temps, d’instruire le procès de Bernard Saisset, évêque de Pamiers, accusé de trahison, Jean de Picquigny et Richard Leneveu l’ont assigné pour le mois d’octobre devant la cour du roi. Ils doivent eux-mêmes à cette date se présenter à la cour pour y justifier les conclusions de leur enquête. Quand donc on les sollicite de prévenir par un coup d’autorité les tumultes qu’on redoute, ils annoncent simplement qu’ils vont informer le roi de ce qui se passe, ajoutant, pour modérer les plus vives ardeurs, qu’ils reviendront bientôt avec les instructions qui leur manquent. La nouvelle de leur prochain départ s’étant répandue, les premiers habitans de Carcassonne et d’Albi se concertent et désignent pour les accompagner dans ce voyage les plus considérables ou les plus habiles de leurs concitoyens. Bernard Délicieux conduira l’ambassade. La ville d’Albi sera représentée par Guillaume Fransa, un de ses consuls, par Pierre de Castanet, de famille consulaire, un des parens de l’évêque et son adversaire résolu, par maître Arnauld Garcia et maître Pierre Probi, de Castres. Ces deux derniers sont des jurisconsultes très dévoués à la cause albigeoise et tout à fait brouillés, avec l’inquisition. Un des proches parens de Pierre Probi, Jean Bauderie, est au nombre des emmurés ; la famille Garcia, une des plus riches d’Albi, habite depuis l’année 1252 l’ancien palais des vicomtes, et l’inquisition menace déjà le frère d’Arnauld, Raymond Garcia, dont elle doit confisquer plus tard tous les biens. Enfin Carcassonne a choisi pour son ambassadeur principal Élie Patrice, homme fier, actif, audacieux, jouissant du plus grand crédit dans le bourg et dans la ville, qu’un chroniqueur dominicain appelle avec plus d’indignation que d’emphase le « petit roi » de Carcassonne[1]. Ainsi, quand les réformateurs seront admis à l’audience du roi et lui raconteront tout ce qu’on reprend dans la conduite des inquisiteurs, ils pourront produire des témoins. À ce grave

  1. « Qui regulus carcassonensis videbatur. » Bern. Guidonis, dans le Recueil des Historiens de France, t. XXI, p. 743.