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est désormais sans pouvoir de nuire, que par conséquent les députés d’Albi se sont heureusement acquittés de leur mandat, il s’éloigne de Paris et retourne à Narbonne. Si ses défiances sont injustes, on l’apprendra bientôt.

II.

Il est permis de croire que l’inquisition voulut pendant quelque temps se montrer modérée. Après les échecs qu’elle avait éprouvés dans les conseils du roi, elle devait beaucoup redouter la surveillance du vidame, qui était venu reprendre à Toulouse ses fonctions de réformateur. C’était presque une nécessité pour elle d’affecter un humble maintien et de faire bon visage même aux hérétiques ; mais on ne lui rendit pas ses politesses. Un peuple longtemps opprimé peut-il se tenir pour satisfait dès que l’oppression se relâche ? Il se souvient, il a des rancunes, de justes rancunes ; il déteste à bon droit les auteurs du mal qu’il a subi, qu’il a vu cesser, qu’il n’a pas vu réparer. D’ailleurs les poursuites seules se sont arrêtées. L’inquisition n’a lâché aucune proie ; tous les malheureux qu’elle a condamnés, qu’elle a séparés du monde, sont demeurés dans ses cachots. Le roi n’a pu rendre à la liberté des gens qu’un tribunal souverain a jugés coupables. Il sait et dit savoir qu’il y a eu des condamnations iniques ; mais elles ont été prononcées par un magistrat qui ne relève pas de lui : ce principe que toute justice émane du roi ne s’étend pas au-delà des causes civiles. Ainsi le peuple d’Albi a beaucoup trop de raisons pour gémir encore, pour détester encore l’inquisition, ses ministres anciens ou nouveaux, tous leurs fauteurs et tous leurs complices.

À leur retour, les deux avocats de la commune d’Albi, maîtres Arnaud Garcia et Pierre Probi, reçurent de tous côtés des témoignages de reconnaissance ; mais on s’éloigna de plus en plus des inquisiteurs et de tous les religieux de leur robe : on ne leur donna plus d’aumônes, on n’alla plus assister au service divin dans leur église, on ne voulut plus de leur ministère pour les funérailles. Voici d’autres outrages. Le premier dimanche de l’avent de l’année 1302, des religieux dominicains, étant allés prêcher aux églises de Saint-Salvi et de Sainte-Martianne, furent accueillis au retour par des huées et des cris de mort. Vers le même temps, les consuls leur firent eux-mêmes la plus cruelle avanie. Sur une des portes de la ville, qui était proche de leur couvent, les prêcheurs avaient placé l’image de leur patron, saint Dominique. Les consuls la firent enlever pour y substituer les portraits du vidame d’Amiens, de l’archidiacre d’Auge, d’Arnauld Garcia et de Pierre Probi, les libérateurs de la ville. L’inquisition fut alors persuadée que sa modération