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À ce moment paraît en scène un personnage nouveau, le prince Fernand, troisième fils du roi de Mayorque, âgé d’environ vingt-quatre ans, un jeune étourdi qui, prétendant jouer le rôle d’un ambitieux, va faire d’actives démarches pour tirer profit d’un mécontentement trop divulgué. Jayme II, de la maison souveraine d’Aragon, roi de Mayorque, est en même temps depuis l’année 1292 un des vassaux immédiats de la couronne de France comme seigneur de Montpellier. Philippe le Bel étant donc arrivé à Montpellier, Jayme est venu, comme c’était son devoir, lui rendre l’hommage d’une visite solennelle, et l’a suivi jusqu’à Nîmes, ayant à ses côtés son fils Fernand. C’est à Nîmes que commencent les intrigues de Fernand. Dans le palais même qu’habite le roi de France, en pleine cour, il aborde Bernard, lui parle de l’inquisition, et dit qu’il serait heureux de faire lui-même ce que Philippe ne fait pas. Bernard le comprend, et sans l’encourager, sans le repousser, il lui donne rendez-vous pour le lendemain dans un lieu moins public que le palais, dans sa chambre, au couvent des mineurs. Au même rendez-vous, Bernard convoque Élie Patrice et Guillaume de Saint-Martin. Dès qu’il s’agissait de tramer un complot, Bernard s’effaçait ; mais en présentant le jeune prince aux deux consuls il savait être agréable aux uns et aux autres.

En effet, pendant le séjour à Béziers, après le refus de leur présent, Élie Patrice, Pierre d’Arnauld et Guillaume de Saint-Martin avaient dit à Bernard qu’ils voulaient renoncer désormais à de vaines requêtes et pourvoir autrement au salut du pays. Ce discours avait pu contrarier Bernard, mais ne l’avait pas surpris. Il savait que la plupart des mécontens du Languedoc détestaient la domination française et parlaient souvent de s’en affranchir. C’était le vœu d’un assez grand nombre de bourgeois ; c’était aussi le vœu de quelques seigneurs jaloux de recouvrer leur antique indépendance, et de plus d’un évêque ami de Rome, ennemi de ce roi qui ne consentait pas à être régenté par un pape. Récemment l’évêque de Pamiers avait voulu faire d’un comte de Foix un roi de Toulouse, et la terreur des armes françaises avait seule empêché qu’il n’eût beaucoup de complices. Bernard lui-même ne s’exprime pas avec franchise quand il affecte devant le roi de France de paraître un sujet confiant, un Français zélé : il est de Montpellier, ville aragonaise, et pour lui, comme pour les bourgeois de Carcassonne et d’Albi, ses amis, les Français sont les étrangers du nord, les vainqueurs de Muret, les dominateurs de la patrie languedocienne. Cependant il n’a pas approuvé le discours des consuls. Ne pouvant se dissimuler le médiocre succès de ses plaintives remontrances, il n’en rédige plus de nouvelles, mais il croit moins encore au succès de l’entreprise dont on est venu lui révéler le dessein. C’est