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Dulcino, et à leur prière le 27 juillet 1308 il blâme la conduite des cardinaux, annule les jugemens rendus contre l’évêque d’Albi, et le rétablit sur son siége. Telles étaient en ce temps-là les variations de la justice romaine. Dès lors l’inquisition réhabilitée n’aura plus de frein : il faudra, pour avoir le droit de vivre en paix, mériter sa pitié par des actes publics de repentir.

Tous les anciens complices de Bernard qui n’ont pas été pendus ou qui ne sont pas encore emmurés se soumettent les uns après les autres. Pierre Probi s’était d’abord réfugié près de Raynauld de Picquigny, en Gascogne. S’étant ensuite rendu à Lyon près de Clément V, il avait trouvé là Pierre de Castanet, Arnauld Garcia, Guillaume Fransa, Guillaume Borel, Raymond Bauderie, Jean de Caraman et divers autres notables de Carcassonne, d’Albi, de Limoux, venus à la cour du nouveau pape dans le dessein de solliciter son intercession auprès du roi. On ne pouvait parvenir jusqu’au pape sans passer par les cardinaux. Les cardinaux ayant, comme c’était la coutume, taxé leurs bons offices selon la gravité du fait et la qualité des personnes, les solliciteurs avaient dû compter au cardinal de Sainte-Croix 2,000 livres, à Raymond de Goth, neveu du pape, 2,000 livres, à Pierre de Colonna 500 florins, et, si considérable qu’eût été la somme versée, les solliciteurs n’avaient obtenu que des paroles ; les cardinaux les avaient rançonnés et volés. C’est pourquoi, rentrés chez eux, ils avaient misérablement accepté toutes les conditions, toutes les peines et les pénitences que l’inquisition leur avait imposées, et désormais elle n’avait plus rien à leur demander, sinon des services qu’ils ne devaient plus avoir le courage de lui refuser.

Bernard ne se résigne pas à une aussi grande humiliation. Il voudrait pourtant, même à la condition de ne plus rien faire, de ne plus rien dire, d’assister avec tous les dehors de l’indifférence au spectacle de la honte commune, achever sa vie si longtemps troublée dans ce pays, où sa conscience lui dit qu’il a fait du bien, où il a conservé des amis, au moins dans son ordre. Or, comme il ne peut pas choisir sa retraite sans être affranchi des entraves qui gênent encore sa liberté, il se rend à Paris en 1310, près du roi, puis à Avignon, près du pape, et, les ayant fait supplier par de puissans personnages, il obtient enfin le droit d’aller en tel lieu où il lui conviendra d’établir sa résidence. Il demeura quelque temps à Carcassonne ou sur le territoire albigeois. L’inquisition était revenue à toutes ses anciennes pratiques ; elle arrêtait, elle emmurait, elle pouvait même faire brûler et pendre : on ne lui refusait plus rien. Dans tous les esprits règne l’abattement ou la terreur. Les plus fermes ne peuvent eux-mêmes en de telles circonstances résister