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pape ; le 24, il était arrêté, et peu de jours après le pape chargeait Guillaume Méchin, évêque de Troyes, et Pierre Letessier, abbé de Saint-Sernin, d’instruire son procès.

On s’étonne sans doute de voir, au mépris de toutes nos règles, instrumenter contre des crimes pardonnés treize années après l’accomplissement des faits qui doivent être l’objet de la poursuite ; mais il faut apprécier la différence des temps. Comme nous aimons la vérité, de même nous aimons la justice. Sur la vérité se fonde notre foi, sur la justice notre loi. Cela veut dire qu’en nous vit l’esprit moderne. En ces temps anciens dont nous écrivons l’histoire, on ne devait ni rechercher la vérité, ni cultiver la justice pour elles-mêmes. S’il y avait des lois ecclésiastiques, des lois civiles, avant toutes ces lois passait l’intérêt de l’état et de l’église. Clément V croyait servir les intérêts de l’église lorsqu’il pardonnait à Bernard. Jean XXII croit les mieux servir lorsqu’il lui donne des juges. Il suffit qu’il ait cette opinion : aucune règle de droit ne saurait prévaloir contre l’intérêt qui bien ou mal le conseille. L’enquête de l’évêque de Troyes et de l’abbé de Saint-Sernin commença vers la fin de juin. Les articles sur lesquels Bernard fut interrogé sont au nombre de soixante ; mais ces soixante articles relatent le détail des faits et des discours incriminés, les crimes ne dépassent pas le nombre de trois. Ces trois crimes, les voici : 1o Bernard a de tous ses efforts, durant plusieurs années, lutté contre l’inquisition, soulevé contre elle les villes et les bourgs, gêné l’exercice de son ministère ; 2o il a conspiré contre le roi de France avec le fils du roi de Mayorque ; 3o il a fait empoisonner le pape Benoît XI.

Nous n’avons pas encore parlé de ce troisième crime. Nous ne pouvions en parler plus tôt, puisqu’il n’a été découvert, c’est-à-dire inventé que plus tard. Des sept articles qui concernent ce crime, trois ne contiennent qu’un verbiage inutile ; mais il faut lire les quatre suivans : « Bernard a envoyé à la cour romaine un messager, et par ce messager un petit coffret entouré de linges, fermé avec une serrure dont il a par devers lui conservé la clé, et dans ledit coffret il a fait parvenir à la cour romaine des préparations, des potions, des poudres, et une lettre écrite de sa propre main, au moyen desquelles choses ledit frère Bernard a fait abréger la vie dudit seigneur Benoît. Item, ledit frère Bernard a prédit devant quelques personnes d’Albi le jour même où devait mourir le pape Benoît. Item, il avait appris ce qu’il disait ainsi dans un livre où étaient beaucoup de caractères et beaucoup de roues entourées de diverses écritures. Item, il envoya les préparations ci-dessus dites à maître Arnauld de Villeneuve et à quelques autres pour abréger la vie dudit seigneur Benoît. » En résumé, Bernard a fabriqué le poison