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de l’Aude, et mis sous la garde de l’inquisiteur Jean de Belna[1].

Le croira-t-on ? deux magistrats civils s’inscrivirent contre cette sentence, la trouvant trop douce. Le lendemain du jour où elle était exécutée, Pierre Lerouge, notaire à Toulouse, se présentait aux juges de la cause et leur faisait lecture d’un appel au pape, signifié par Raymond Lecourt, juge royal à Rivière, et par Raymond Foucauld, procureur du roi en la sénéchaussée de Carcassonne. « La justice est violée, la dignité royale est offensée, la conscience d’un peuple fidèle est scandalisée. » Ainsi s’expriment les appelans. Reprenant donc la série des crimes condamnés, ils y ajoutent l’assassinat de Benoît. Ce crime, dit la sentence, n’a pas été pleinement prouvé ; mais, répondent les appelans, puisque les juges ne trouvaient pas suffisante la preuve du crime dénoncé, ils devaient réserver au pape la liberté de statuer sur ce chef, il n’était pas en leur pouvoir d’absoudre. Ils ont de plus gravement offensé la justice du roi lorsqu’ils ont soustrait le condamné, malgré l’énormité de ses crimes, à la juridiction du glaive civil. Quoi ! le traître, l’hérétique, le rebelle, l’empoisonneur Bernard, qui aurait mérité plusieurs fois la mort, si l’on pouvait plusieurs fois mourir, si naturœ conditio pateretur, n’aura pour punition qu’une prison perpétuelle ! Cette inique miséricorde révolte les magistrats, et, persuadés qu’elle révoltera comme eux le saint-père, ils en appellent[2]. En droit et en fait, Raymond Lecourt et Raymond Foucauld se trompaient, et leur appel demeura vain.

On ne sait pas exactement en quelle année le supplice de Bernard finit avec sa vie. L’historien de son ordre Luc Wadding se trompe lorsqu’il suppose que sa mort précéda sa condamnation. Il vivait encore le 25 février 1320. À cette date, Jean XXII écrit aux évêques de Pamiers et de Saint-Papoul que l’inquisition traite son prisonnier avec des égards inouïs en lui conservant ses habits religieux ; il ordonne donc avec indignation qu’on dépouille Bernard de ces habits qu’il déshonore. Le chroniqueur Jean de Saint-Victor dit qu’il mourut avant la fin de l’année 1319. Cela signifie sans doute, selon l’ancienne manière de compter, que la vie du martyr ne se prolongea pas au-delà des fêtes pascales de l’année 1320.

B. Hauréau.
  1. Baluze, Vit. papar. aven., t. Ier, col. 344, a publié la sentence rendue contre Bernard.
  2. Cet acte d’appel est aussi dans Baluze, livre cité, col. 358.