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Il intervient pour que le père de famille conserve le choix de l’école où il veut envoyer son fils. On l’accuse d’opprimer la liberté, au contraire il la maintient. Son intervention n’est pas un privilège dont il ait lieu d’être fier, c’est une nécessité qu’il subit pour empêcher un monopole. Voilà ce qui doit régler ses rapports avec les autres écoles laïques ; il les a quelquefois traitées comme des rivaux qu’il tâchait de perdre, il avait tort : ce sont plutôt des auxiliaires qu’il doit encourager, car ils l’aident à se délivrer d’une partie de son fardeau.

L’intervention de l’état a donc servi l’enseignement, puisqu’elle l’a sauvé du monopole ; mais il faut avouer qu’elle n’est pas sans inconvéniens pour lui. L’instruction publique est devenue une administration comme les forêts et les tabacs. Or le premier besoin d’une administration est d’établir partout un bel ordre, une régularité qui flatte le regard. Elle a la manie de l’uniformité et de la hiérarchie, elle entasse les décrets et les ordonnances, elle veut tout prévoir et tout décider. Elle ne consent pas à tenir compte de la diversité d’esprit des élèves, ni des capacités différentes des maîtres. D’un bout de la France à l’autre, maîtres et élèves doivent étudier les mêmes livres, suivre les mêmes méthodes, marcher du même pas. L’initiative des professeurs étant partout gênée par des règlemens étroits, l’impulsion part entièrement des gens de bureau, étrangers le plus souvent aux questions scientifiques, très convaincus de la puissance de la règle et des merveilles de l’obéissance, qui croient qu’on fait des hommes de talent par ordonnance, et que les choses de l’esprit se gouvernent comme les autres avec des prescriptions rigoureuses. Le pire de tout, c’est que l’enseignement s’est trouvé lié à la politique, et qu’il en suit toutes les vicissitudes. A chaque crise, les ministres de l’instruction publique se succèdent (en 1848, il y en a eu quatre en huit mois). L’inconnu recommence toujours à l’avènement d’un pouvoir nouveau. Comment fonder rien de solide sur ce terrain mouvant ? Ajoutons que dans le choix du ministre qu’on nomme on consulte médiocrement les aptitudes personnelles ou les occupations précédentes. On croit généralement qu’il faut un soldat pour le ministère de la guerre et un magistrat à la justice ; mais pour l’instruction publique tout est bon. Parmi ces ministres qu’on improvise, les uns, quoique étrangers aux choses de l’enseignement, arrivent avec des idées toutes faites ; ce sont les plus dangereux. Les autres n’ont aucune connaissance des intérêts délicats dont ils sont chargés, et pourtant les affaires qu’ils vont avoir à décider sont les plus importantes de toutes ; elles concernent l’avenir même de la France, qu’une faute peut mettre en péril. Dès les premiers jours de leur