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l’enseignement populaire, il montre que l’un ne se comprend pas sans l’autre. « C’est l’université qui fait l’école, écrit-il. On a dit que ce qui a vaincu à Sadowa, c’est l’instituteur primaire. Non, ce qui a vaincu à Sadowa, c’est la science germanique, c’est la vertu germanique, c’est le protestantisme, c’est la philosophie, c’est Luther, c’est Kant, c’est Fîchte, c’est Hegel. L’instruction du peuple est un effet de la haute culture de certaines classes. Les pays qui, comme les États-Unis, ont créé un enseignement populaire considérable sans instruction supérieure sérieuse expieront longtemps encore cette faute par leur médiocrité intellectuelle, leur grossièreté de mœurs, leur esprit superficiel, leur manque d’intelligence générale. » Des gens qui se croient sérieux répètent qu’il ne faut mesurer l’importance des choses qu’à leur résultat pratique, et ils s’autorisent de ce principe pour mépriser la science et les écoles qui la donnent. Ils ne songent pas que dans toute étude une période scientifique a toujours précédé les applications utiles. Que n’a-t-il pas fallu de recherches abstraites, de théories qui semblaient sans conséquences pratiques, pour arriver à l’invention des télégraphes électriques et des machines à vapeur ! Il en est de même des sciences sociales et historiques, et la nation qui refuse de les protéger quand elles ne sont que l’occupation théorique de quelques savans consent à abandonner à d’autres la gloire et les profits des applications. C’est donc un malheur et un danger que de laisser ainsi s’abaisser chez nous le niveau de l’enseignement supérieur. M. Renan a bien raison de le déplorer. Il est certain que nous ne pouvons regarder sans tristesse les progrès qu’ont faits la philologie et l’histoire depuis le milieu du siècle dernier : c’est le plus souvent hors de chez nous qu’ils se sont accomplis. La création de la philologie comparée et de la science des religions, le renouvellement des textes classiques, l’intelligence plus vive et plus vraie des littératures primitives et populaires, feront la gloire de notre époque. Malheureusement la France n’a pas toujours pris la part qui lui revenait dans ces travaux. Notre pays, sur lequel autrefois le monde entier avait les yeux, a cessé d’être le centre du mouvement scientifique. Les nations qui veulent s’instruire s’adressent à d’autres que nous. Oxford emprunte ses professeurs à l’Allemagne et lui demande des philologues pour la publication des textes qui sortent de ses presses ; Naples s’est mise à l’école de Hegel ; Pise, Florence, Milan, accoutumées à vivre autrefois de l’imitation de la France, ont aujourd’hui les yeux fixés sur Bonn, Goettingue ou Berlin. Les sciences physiques et naturelles, qui avaient bien résisté jusqu’ici et maintenu notre honneur, commencent elles-mêmes à s’effrayer. Elles redoutent aussi d’être vaincues