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Thomas Graindorge ; mais ceux que ces livres amusent le plus ne peuvent parvenir à comprendre comment ils sont le produit naturel de ce qu’ils appellent un séminaire philologique. Certes nous ne songeons pas à nous plaindre que l’École normale ait produit des écrivains comme MM. About, Taine et Prévost-Paradol, nous n’en sommes pas même trop surpris, car dans ce temps de vie facile et dissipée les trois années qu’on y passe dans des études austères et le commerce des grands hommes de l’antiquité sont un excellent apprentissage de l’art d’écrire. Il est pourtant permis de regretter que les élèves de l’école n’aient pas toujours tenu à prendre dans la philologie et l’érudition le rang qu’ils occupent dans les lettres, et qu’ils se soient tenus trop à l’écart de ce mouvement scientifique dont l’Allemagne est le centre. Sans doute il ne faut pas renoncer à ces tendances littéraires qui semblent être le génie particulier de notre pays, à ce souci de la méthode et de l’ordre, à ce goût de la forme qui donne du prix au fond, qualités charmantes qui ont distingué de tout temps nos grands érudits ; mais il n’est pas interdit de souhaiter que notre savoir, tout en restant aussi agréable, devienne un peu plus solide et précis. L’idéal serait donc que l’école continuât à produire des écrivains quand elle en trouvera la matière, mais qu’elle cherchât surtout à former des jeunes gens versés dans la connaissance des langues classiques, entendant à fond les auteurs qu’ils seront chargés d’expliquer et qui s’intéressent aux questions de philologie et de critique que ces lectures suscitent, c’est-à-dire des professeurs. Il est certain que c’est pour cela qu’elle est faite.

A ceux qui la pressaient de réaliser cet idéal, l’autorité universitaire, toujours préoccupée du côté pratique et administratif, a quelquefois répondu que les intérêts de la science ne la regardaient pas, que d’ordinaire les savans lui causaient plus d’embarras qu’ils ne lui rendaient de services, que, pour expliquer du latin à des écoliers, on n’a pas besoin de savoir la philologie comparée, et qu’enfin il n’importe pas à l’état qu’un professeur sache autre chose que ce qu’il est chargé d’apprendre. Cette pensée, qui a un faux air d’axiome, n’est pourtant pas vraie. Il serait facile de prouver au contraire qu’un professeur n’enseigne bien que lorsqu’il sait beaucoup plus que ce qu’il enseigne. S’il n’est pas au-dessus de ses fonctions, il tombera bientôt au-dessous d’elles. Un corps enseignant qui veut conserver quelque mouvement et quelque activité doit nécessairement être un corps savant. Il faut qu’il contienne une élite d’hommes éminens au courant des progrès de la science et capables d’y contribuer ; il faut que les autres ne soient pas tout à fait étrangers aux recherches des premiers, qu’au moins ils les