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les gens qui les ouvriront seront ceux que l’enseignement de l’église ou de l’état ne contente pas ; s’ils en étaient satisfaits, ils ne sentiraient pas le besoin d’en créer un autre. Il est donc bien entendu que, quand les évêques demandent la liberté de l’enseignement supérieur, ils s’engagent à laisser enseigner sur la divinité du Christ, sur les origines de l’église, sur l’histoire de la papauté, des opinions tout à fait contraires aux leurs. Voilà ce qu’il faut bien qu’on se dise d’avance pour ne pas venir réclamer plus tard des répressions sévères contre ceux qu’on aura soi-même autorisés et engagés à parler. Sans doute il ne s’agit point ici d’une liberté illimitée ; M. de Bonnechose nous a bien avertis. Il est clair qu’en accordant la permission d’ouvrir des écoles supérieures libres l’état conserve le droit de les surveiller ; mais il est évident aussi qu’il n’en usera qu’avec une extrême discrétion, s’il veut que la liberté de l’enseignement ne soit pas un vain mot. C’est ce qu’il fait déjà pour l’instruction secondaire ; il se croira sans doute obligé d’agir avec la même prudence pour l’enseignement supérieur. Une fois que les étudians seront renfermés dans ces écoles où ils seront librement venus avec l’assentiment de leurs familles, où des maîtres qu’ils auront choisis leur enseigneront la doctrine qu’ils préfèrent, le mieux est de laisser faire, et ce serait pour l’état un mauvais métier que d’aller trop souvent écouter aux portes. Son intervention dans les établissemens libres ne peut être justifiée que par la nécessité où il se trouve de protéger son existence ; il me semble donc qu’elle doit se renfermer dans les limites où s’exerce ce droit de légitime défense que les citoyens possèdent aussi dans la vie ordinaire. De même qu’on ne permettrait pas à un particulier d’en frapper un autre uniquement parce qu’il se croirait assuré que c’est un méchant homme qui a de mauvais desseins et qui pourra bien les exécuter plus tard, de même il ne peut pas être permis à l’état de proscrire une doctrine parce que dans ses conséquences extrêmes et rigoureuses il la juge dangereuse pour lui, car qui sait si ces conséquences seront jamais tirées ? C’est donc contre une attaque réelle et présente, non contre un péril douteux et lointain, que l’état est armé. Du moment qu’il accorde la liberté d’enseigner, son devoir est de ne pas prendre parti dans les querelles qui divisent les écoles ; il ne faut pas qu’il se fasse théologien ou philosophe, et se charge de discerner le vrai du faux. Il doit avoir le moins possible de préférences pour les opinions, et en tout cas, s’il en voit avec regret quelques-unes se répandre, il faut qu’il sache bien qu’à moins qu’elles ne menacent directement son existence, il n’a pas le droit de les supprimer. Du reste, si les systèmes politiques et religieux avaient le sentiment de leurs intérêts véritables, ils se garderaient bien de