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réclamer jamais l’appui de l’état. Sa protection a d’ordinaire les plus fâcheux effets. Il peut bien donner pour quelque temps au parti qu’il soutient la prépondérance matérielle ; mais il lui enlève pour jamais cette force morale qui fait vivre les opinions. Nous en avons la preuve manifeste sous nos yeux. On s’est plaint beaucoup au sénat du discrédit dans lequel sont tombées les doctrines spiritualistes auprès de la jeunesse. On en a accusé avec une violence déplorable tel ou tel enseignement, tel ou tel professeur ; on a bien tort. Les hommes dont on a cité les noms n’ont pas assez d’importance pour avoir amené des résultats aussi considérables. Les causes de ce discrédit sont ailleurs. On s’est éloigné des doctrines spiritualistes parce qu’elles sont devenues quelque temps des doctrines d’état. Qu’on se rappelle avec quelle passion cette même jeunesse les accueillait il y a quarante ans, quand une bouche éloquente les proclamait avec tant d’éclat à la Sorbonne. Elles étaient populaires alors ; elles avaient l’avantage d’être suspectes au gouvernement. Celui qui les professait était sans cesse menacé d’être arraché de sa chaire. Un roi protecteur des idées absolutistes lui avait rendu le service de le garder quelque temps en prison. Aussi quel succès obtenait son enseignement ! On était spiritualiste comme on était libéral. Malheureusement pour M. Cousin et pour ses doctrines, une révolution à laquelle il n’avait pas été inutile le porta au pouvoir. Sa philosophie y arriva avec lui. Elle figura dans les programmes, elle eut le privilège d’être enseignée dans les lycées, elle s’habitua si bien à se confondre avec l’état qu’elle traita ses adversaires comme des rebelles. Aussi arriva-t-il naturellement que tous les rebelles devinrent ses adversaires. C’est ainsi qu’une réaction se déclara contre la doctrine officielle dès la fin du règne de Louis-Philippe. Depuis, elle n’a fait que croître à mesure que l’état, qui voyait le spiritualisme plus menacé, venait davantage à son secours. C’est ce secours qu’on poursuit en lui et qu’on lui fait aujourd’hui payer. Un de ces jeunes gens qui affichent depuis quelques mois dans les journaux une sorte de fatuité d’athéisme disait : « Je suis matérialiste, parce que je suis révolutionnaire. » Philosophiquement la raison est médiocre, au fond elle est vraie. Il s’est fait je ne sais quelle confusion étrange entre le spiritualisme et le pouvoir absolu, et il a souffert de l’impopularité du despotisme. Voilà tout ce qu’on gagne à s’unir à l’autorité et à devenir une orthodoxie !

Prenons donc l’habitude de faire nos affaires tout seuls ; cessons d’appeler les foudres du pouvoir sur ceux qui ne partagent pas nos sentimens. Défions-nous de ces autocrates qui paraissent si zélés pour la bonne cause et qui disent comme Napoléon dans une