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premier flair ils reconnaissent si les viandes cuites ou fumées appartiennent à un animal mort naturellement de maladie ou tué selon les règles ; avec un sourire forcé, le marchand avoue la fraude essayée, et le corps de délit est jeté dans la manne de la fourrière que les gens du marché appellent le panier à salade, en souvenir de la voiture qui jadis transportait les prisonniers.

Quelque considérables que soient les quantités de subsistances que nous avons énoncées en parlant des différens pavillons des halles, elles sont loin de suffire à l’alimentation de Paris ; la facilité extraordinaire et croissante des communications engage bien des marchands, bien des particuliers même, à se faire adresser des comestibles à domicile. De même que tous les liquides consommés par la grande ville ne passent pas à l’entrepôt général, de même toutes les denrées alimentaires n’ont pas été amenées sur les marchés. Le chiffre que représentent ces arrivages directs est très important, et l’on doit en tenir compte lorsqu’on veut apprécier d’aussi près que possible les diverses ressources dont Paris peut user pour son alimentation. En 1867, Paris a reçu en dehors des marchés 7,031,678 kilogrammes de raisins, 157,124 kilogrammes de truffes ou de denrées truffées, 2,093,985 kilogrammes de volaille et gibier, 64,376 kilogrammes de poisson de mer et d’eau douce, 263,169 kilogrammes d’huîtres, dont 14,307 marinées, 4,677,754 kilogrammes de beurre, 2,589,774 kilogrammes d’œufs, 4,145,706 kilogrammes de fromages secs, 13,341,237 kil. de sel gris et blanc, 9,998,883 kilogrammes de glace à rafraîchir ; à cela, il faut ajouter 124,063 hectolitres d’alcool pur, 56,179 hectolitres de cidre, 39,591 hectolitres de vinaigre, 291,314 hectolitres de bière, dans lesquels on ne doit pas confondre 61,629 hectolitres de bière fabriquée par les brasseries parisiennes. Les denrées alimentaires de toute sorte qui ont acquitté les droits d’octroi aux barrières ont produit la somme de 67,899,238 francs, qui, ajoutée aux 6,850,700 perçus dans les marchés, forment un total de 73,749,938 francs. C’est là ce que la boisson et la nourriture ont rapporté à la ville de Paris pendant le cours de l’année dernière. C’est un budget digne de faire envie à plus d’un petit état. Si les droits d’octroi étaient répartis également sur tous les habitans de Paris, chacun d’eux aurait à payer annuellement 40 fr. 40 c, ce qui serait excessivement lourd pour beaucoup d’artisans et de petits employés.

Au commencement du XIVe siècle, Jean de Jeandun écrivait dans son Traité des louanges de Paris : « Ce qui semble merveilleux, c’est que plus la multitude afflue à Paris, plus on y apporte un nombre exubérant, une exubérance nombreuse de vivres, sans qu’il se produise une augmentation proportionnelle du prix des denrées. » Ce dernier fait n’est plus malheureusement aussi vrai