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eu l’art de leur présenter, que la plupart considéraient de. bonne foi peut-être comme le juste remboursement de leurs frais de voyage et comme une naturelle indemnité pour les dépenses de leur entretien dans une ville étrangère.

A Rome, la situation ne se présentait pas sous cet aspect, et les choses s’y passèrent tout autrement. Soit que le général Miollis, malgré son esprit conciliant et sa modération accoutumée, ait agi en cette occasion plus en militaire qu’en diplomate, soit qu’il fût plus aisé de contrarier l’empereur à ceux qui étaient placés loin de lui qu’à ceux qui résidaient à sa propre cour et sous le coup de sa redoutable main, soit enfin que l’indépendance de caractère (ce qui s’est parfois remarqué ailleurs que dans les rangs du clergé) n’ait rien à voir avec l’élévation du grade, toujours est-il qu’à Rome les employés secondaires de l’ancien gouvernement pontifical ne voulurent suivre en rien l’exemple qui leur avait été donné de Paris par les cardinaux, c’est-à-dire par les chefs mêmes de la hiérarchie ecclésiastique. Au 17 mars 1810, huit mois après qu’il avait ordonné l’enlèvement de Pie VII au Quirinal, le général Miollis était obligé de convenir qu’il avait complètement échoué dans sa mission. Pas un des anciens serviteurs du saint-père n’avait voulu accepter une obole de sa main. C’est en vain qu’il avait fait ouvrir des crédits mensuels pour les traitemens des membres de la maison du pape et des premiers dignitaires de la cour de Rome. « Ils ont évité de les toucher, écrit-il assez piteusement à M. Bigot de Préameneu ; on leur a dit de se faire inscrire pour leur paie, ils sont restés également passifs, et paraissent recevoir de l’argent par des voies particulières[1]. » Refuser obstinément ses bienfaits, et, ce qui était plus grave encore, accepter des secours qui leur arrivaient par un canal mystérieux, c’étaient là autant de crimes irrémissibles aux yeux de l’empereur ; mais les moyens ne lui faisaient pas défaut pour tirer vengeance d’une opposition d’autant plus insupportable qu’elle était toute morale et toute d’abstention. Il ne permettrait à personne, et à des ecclésiastiques devenus ses sujets moins qu’à qui que ce soit, de se dérober ainsi à l’empire qu’il entendait exercer non pas seulement sur les faits extérieurs, mais sur l’âme même et les sentimens les plus intimes de tous ceux qui se trouvaient rangés sous ses lois. On ne tarderait pas à s’apercevoir qu’il avait à sa disposition les armes les plus diverses, propres à atteindre également toute sorte de rebelles. Malheureusement pour le clergé romain, et malheureusement aussi pour Napoléon, les armes qu’il se proposait en ce moment de tourner contre les ecclésiastiques des anciens états pontificaux étaient d’une double nature, relevant

  1. Lettre du général Miollis au ministre des cultes, 17 mars 1810.