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causes générales et personnelles dont nous allons parler. Ce qui est certain, c’est qu’elle changea brusquement d’objet et de méthode.

Si la philosophie française du XIXe siècle eut la psychologie pour berceau, elle eut bientôt pour théâtre l’histoire universelle de la pensée humaine. Le spiritualisme nouveau, dont Maine de Biran, Laromiguière, Royer-Collard, peuvent être considérés à des titres divers comme les promoteurs, ne tarda pas, sous l’énergique impulsion de Victor Cousin, à entrer dans la voie historique, où il devait prendre des proportions que ses premiers maîtres n’avaient pu soupçonner. Le jeune et ardent professeur fit d’abord, à l’exemple de ses maîtres, de la doctrine pure ; il en fit, comme il a fait toute chose, avec éloquence et passion, depuis 1816 jusqu’en 1820, opposant la doctrine de la raison pure à la philosophie de la sensation, et la morale du devoir à celle de l’intérêt ou du sentiment. Quand plus tard il engagea la philosophie française dans le mouvement historique, en traduisant ou en faisant traduire les plus grands monumens de la philosophie ancienne, en provoquant et en inspirant toute cette belle série d’études historiques dont M. Ravaisson a reproduit la liste, il ne fit qu’obéir en cela au génie même de son époque, et suivre une voie où la science allemande l’avait déjà précédé. Si Victor Cousin n’eût pas vécu, il est possible que le mouvement des études historiques, en ce qui concerne la philosophie, n’eût été ni si rapide ni si brillant ; il est certain néanmoins que l’histoire de la philosophie eût eu son moment tôt ou tard, grâce à l’esprit qui commençait à s’emparer de toutes les branches de la littérature. A vrai dire, Victor Cousin n’a pas plus créé le mouvement historique que le mouvement spiritualiste, qui ont fait le caractère propre de la philosophie française de notre siècle comparée à celle du siècle précédent ; mais il mit au service de cette double tendance de telles facultés d’action, de parole et de style, qu’il a pu paraître créateur là où il n’a été qu’un incomparable organe.

Jouffroy nous disait un jour, en convenant des lacunes de l’enseignement philosophique du maître : « On pourra juger diversement sa doctrine ; nul ne contestera son œuvre de moteur et d’inspirateur. » Et, développant cette thèse avec cette hauteur et cette sérénité d’esprit qui lui étaient propres, il la résumait dans une formule métaphysique que nous n’avons point oubliée : « celui-là est une cause. » C’est en effet à ce point de vue qu’il faut se placer pour juger l’œuvre de cet homme vraiment extraordinaire. L’action dans le champ de la pensée, telle fut sa vocation propre, sa constante mission, depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort. Dès le collège, ses amis et ses compagnons l’affirment, il sent le besoin d’agir par la parole et par la direction. A l’École normale, il est déjà maître, n’étant encore qu’élève ; il y annonce toutes les grandes