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que les professeurs de matérialisme y sont encore en minorité ; mais croire que l’esprit spiritualiste est l’esprit qui domine dans ce monde-là, c’est se faire une grande illusion.

La vérité est que le divorce paraît aussi complet que jamais entre le spiritualisme et la science par quelque côté qu’on y regarde, par les principes, par les méthodes, par les habitudes d’esprit. Ce sont les deux pôles opposés de la pensée, ce sont deux mondes où l’on parle un langage absolument différent. S’il y a des philosophes spiritualistes d’un optimisme assez naïf pour en douter, c’est qu’ils n’ont jamais sérieusement causé avec des savans. La plupart de ceux-ci ne se gênent guère pour faire profession de dédain envers toute espèce de métaphysique. En est-il quelques-uns que la politesse et la bienveillance rendent réservés ? Il est facile de voir percer le doute sous leurs protestations d’estime et de sympathie. Dans ce monde-là, on ne parle que de matière, on ne connaît que des forces, on réduit à peu près tous les progrès de la civilisation aux conquêtes de l’industrie. On n’y a guère d’autre morale et d’autre politique que l’économie politique pure. Si l’on y fait des rêves de bonheur pour les sociétés humaines, c’est sur l’accroissement du bien-être général que l’on compte pour les réaliser. Beaucoup produire, beaucoup consommer, voilà le mot de la destinée humaine et le vrai criterium de la prospérité des nations. La liberté scientifique et la liberté économique sont les seules auxquelles on tienne essentiellement, parce que les progrès de la science positive et de l’industrie ne sont pas possibles sans elles. Quant aux querelles de la théologie et de la métaphysique, on ne s’y intéresse guère, et si, sous prétexte d’ordre public, l’état interdit aux libres penseurs de s’occuper des questions religieuses, le monde savant s’en émeut médiocrement. Pourquoi s’enflammerait-il pour une liberté dont il ne fait point usage lui-même ?

Dans le monde spiritualiste, vaste et nombreux aussi, les choses se passent tout autrement. Nous entendons le spiritualisme sincère, celui qui prend au sérieux dans la pratique comme dans la théorie tous les mots dont se compose le vocabulaire de la doctrine, esprit, âme, liberté, conscience, loi morale, personnalité et providence divines, immortalité, vie future. Il n’est peut-être pas inutile en effet de faire remarquer que le monde spiritualiste, dans les jours où nous vivons, est singulièrement grossi par une foule d’âmes mercenaires et d’esprits habiles qui se servent du spiritualisme, comme d’autres se servent de la religion, pour faire leurs affaires ici-bas. En retranchant ces indignes de la noble et grande société à laquelle ils n’appartiennent pas, on ne peut, quelque libre penseur qu’on soit, entrer en commerce avec cette société sans ressentir pour elle du respect et même de la sympathie. On y trouve sans