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systèmes seulement, sur les quatre qui se disputent la scène historique, ont leur racine dans l’esprit humain. Le mysticisme n’est qu’un suicide de la raison et de la philosophie réduites au désespoir par le scepticisme, ainsi que l’a si bien expliqué Victor Cousin. Le scepticisme n’est qu’une négation engendrée par l’antithèse de l’idéalisme et du sensualisme ; il n’a par conséquent de raison que dans cette antithèse, comme le mysticisme proprement dit n’a de raison que dans le doute de la pensée oscillant entre deux thèses contraires. Ces deux systèmes ne sont donc, malgré leur puissance et leur durée historique, que les conséquences d’un état de la raison et de la philosophie, c’est-à-dire de véritables accidens. Restent l’idéalisme et le sensualisme ; mais ici encore l’analyse de Victor Cousin est en défaut. Ce n’est pas précisément entre l’idéalisme et le sensualisme qu’est l’antithèse, c’est entre l’idéalisme et l’empirisme d’une part, d’autre part entre le spiritualisme et le matérialisme, conséquence forcée du sensualisme. L’idéalisme et l’empirisme, telles sont les deux grandes doctrines qui ont chacune leur source dans le fond même de la pensée humaine. Ces sources sont le sens et l’entendement (en comprenant sous le mot sens le sens intime et le sens externe), l’expérience et la raison. La première antinomie à résoudre, pour parler le langage de la critique de Kant, est donc cette antithèse, la plus radicale et la plus générale de toutes, de l’expérience et de la raison. Tant que subsiste l’apparence d’une pareille antinomie, toute réalité objective de la philosophie et même de la science peut être contestée.

Or la solution de ce problème est précisément le résultat préparé par le travail de l’analyse et de la critique depuis Leibniz et Kant jusqu’à nos jours. Ni les idées innées des écoles platonicienne et cartésienne, ni la table rase de l’école de Locke, de Hume et de Condillac, n’ont pu soutenir l’examen. Il reste démontré d’une part que toute connaissance est à posteriori, d’autre part qu’aucune connaissance n’est possible sans un à priori quelconque. Kant a résumé cette conclusion de l’analyse moderne, déjà clairement aperçue par Leibniz, dans une formule célèbre qui restera comme le dernier mot sur la question : toute espèce de connaissance, quel qu’en soit l’objet, emprunte à l’expérience sa matière et à l’entendement sa forme. Tous les concepts purs de la sensibilité, de l’entendement proprement dit, de la raison, ne sont que les différentes formes de l’activité intellectuelle, qui opère sur les matériaux de l’intuition empirique. C’est l’esprit qui, par l’expérience aidée de la généralisation, retrouve les classes, les espèces et les genres au sein des choses. C’est l’esprit qui, par l’expérience aidée de l’induction, dégage les lois de la succession ou de la concomitance des phénomènes. C’est l’esprit qui, non content de pénétrer ainsi dans le fond