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de modération, de hardiesse et de prudence, qualités solides qui fixèrent aussitôt sur eux l’attention et firent leur autorité. Eux seuls étaient à même de combattre avec succès les prétentions de la philosophie, qui eût voulu tout organiser selon les théories d’une raison absolue. Ils avaient dans les débats publics cette précieuse discipline qui bannit la déclamation. On ne peut douter qu’ils n’aient imprimé aux discussions cette allure vive, cette nerveuse dialectique, sans lesquelles il n’est point d’éloquence parlementaire. Leur place était aussi bien dans les comités qu’à la tribune ; partout ils défendirent avec la même clairvoyance et la même énergie le droit et la liberté.

Dans quelques-unes des conceptions de la constituante, nous voudrions essayer de montrer la part qui revient aux juristes, à cette école toute française qui a parfois un peu trop incliné vers la réglementation, mais qui à coup sûr était dans sa sphère alors que, droit public et droit civil, tout était à reprendre et à régler. Cette école, qui ne comprenait la liberté qu’avec la loi, comptait dans ses rangs des hommes comme Barnave, Lanjuinais, Adrien Duport, Target, Rœderer, Merlin, Chapelier, Tronchet, Treilhard, Mounier, Thouret. Nous la retrouvons par la suite dans toutes nos assemblées législatives, c’est d’elle que nous tenons nos codes, c’est à elle enfin que la tribune a dû ses plus difficiles conquêtes, quand de nos jours elle a voulu se relever. Une pareille étude n’a pas seulement un intérêt de curiosité rétrospective ; plusieurs des problèmes que l’assemblée s’était donné pour mission de résoudre se posent encore aujourd’hui, et les questions qu’elle agitait, longtemps laissées dans l’ombre, sollicitent de nouveau les regards et réveillent de généreuses aspirations. Sous l’influence du magnifique programme tracé dans la déclaration des droits, à la lumière de ce phare, selon l’expression de Thouret, comment les juristes de la constituante voulurent-ils assurer la liberté ? C’est ce que nous aurons l’occasion d’indiquer en esquissant la physionomie de l’un des hommes qui prirent la part la plus active à la rédaction des grandes lois d’organisation de cette époque, et en le suivant dans les travaux de l’assemblée dont il fut, comme rapporteur et comme président, l’un des plus habiles et des plus éloquens inspirateurs.


I

Parmi les délégués du tiers qui se trouvaient le mieux préparés par leurs occupations antérieures au rôle inattendu de législateurs, Thouret, député de la bourgeoisie rouennaise, se fit distinguer dès l’origine par la rectitude de ses idées, son rapide coup d’œil et ce sens pratique des choses qui ne l’abandonnait jamais. Il arrivait à