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Versailles précédé d’une réputation d’avocat, de jurisconsulte et de publiciste qu’il ne tarda point à justifier par sa parole ferme et sobre aussi bien que par ses écrits. Il avait distribué une analyse des droits qui excita surtout l’attention. Il ne s’était pas arrête à la déclaration des droits en eux-mêmes, il en avait immédiatement tiré les conséquences dans un plan de constitution. Ce projet laissait peu de chose à désirer dans les lignes générales, et à travers les déviations que les événemens ont imprimées aux travaux de l’assemblée il est encore facile de voir que Thouret avait du premier coup posé les grandes assises de l’édifice. Sa conception dut faire impression sur ses collègues, car on la retrouve dans la plupart des résolutions qui suivirent. Ce projet n’était pas du reste une improvisation. Sur une scène plus modeste, il y avait longtemps que Thouret était mêlé aux affaires et se donnait à l’étude des questions d’économie sociale. La vie politique, qui s’était réfugiée dans les assemblées provinciales, s’y développait parfois avec beaucoup d’énergie. On ne s’y occupait pas seulement des tailles, des chemins, de la mendicité ; on y examinait à fond tout ce qui intéressait l’industrie, le commerce, l’agriculture. Comme procureur-syndic du tiers aux états de Normandie, Thouret, dès l’année 1787, avait tracé un remarquable tableau de la situation de la province. Passant au crible tout le système administratif, il proposait une série de mesures qui montraient dans l’avocat au parlement de Rouen un réformateur hardi et convaincu. On voit à son langage que c’est bien moins le spectacle de sa province que celui de la France qui était sous ses yeux. Il avait aussi amené ses collègues aux états de Rouen à s’associer à une œuvre considérable, souvent entreprise depuis et qui n’est pas encore terminée, l’histoire de toutes les assemblées administratives depuis le XIIIe siècle, avec le résumé des vœux exprimés par elles sur tous les intérêts d’ordre public et les remontrances des cours souveraines. Bientôt cependant la rédaction des cahiers permit de sonder plus directement les aspirations et les besoins du pays. Thouret fut chargé de dresser celui du tiers-état de la généralité de Rouen, et l’on a gardé le souvenir des agitations que ce travail souleva au palais. En séparant leur cause de celle du peuple, les parlemens, selon Thouret, s’étaient condamnés à disparaître. Il concluait donc à la réorganisation des tribunaux de la province et à l’abolition radicale de la vénalité des charges. Le parlement s’indigna, et réussit à attirer de son côté une partie du barreau, qui protesta contre la manifestation de tels vœux dans le cahier du tiers-état. Le collège des avocats fut alors convoqué ; Thouret y vint défendre ses propositions, et les fit maintenir dans le cahier aux acclamations de la bourgeoisie et même du barreau, qui désormais firent cause