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parlent à la fois : ceux des communes, par un feint enthousiasme, par des applaudissemens prodigués à chaque nouvel abandon, s’efforcent d’entretenir le délire ; l’assemblée offre l’aspect d’une troupe de gens ivres places dans un magasin de meubles précieux, qui cassent et brisent à l’envi tout ce qui se trouve sous leurs mains. » Le premier et subit effet de la déclaration, avant même qu’elle fût développée, avait été de déterminer l’abandon volontaire et immédiat des privilèges. Ce n’était donc point une si vaine conception métaphysique : aussi le mot ne revint-il plus dans l’assemblée. C’est sous l’empire que la déclaration des droits fut d’abord et très habilement classée parmi les œuvres de pure idéologie ; depuis lors, on a semblé l’oublier un peu ou ne pas y attacher plus d’importance qu’aux autres promesses de constitutions qui reposent dans le paisible champ de l’histoire. Était-elle donc anéantie ? On affirme qu’elle ne pouvait l’être par sa nature même, et l’on s’étonne que le pays l’ait aussi longtemps confondue avec ce qui n’est que transitoire dans les institutions des divers régimes.

Quels étaient cependant les droits qu’il s’agissait de puiser aux sources vives de la nature et de formuler dans une sorte de décalogue social et politique ? À ce moment solennel où la France, sortant d’une longue compression, était conviée à s’interroger et à dire tout haut ses aspirations, chacun dut se recueillir et se demander quels étaient en définitive les droits qu’on ne pouvait lui enlever. Si l’on compare les vingt projets que reçut le comité chargé de poser les premières bases de la déclaration, il est facile de voir qu’au fond ils offraient bien peu de divergences. Les plus remarquables et les plus remarqués furent ceux de Sieyès, Lafayette, Mounier, Thouret, Pison du Galland et Target. Le comité s’était arrêté à ceux de Sieyès et de Mounier ; mais la déclaration devait être l’œuvre impersonnelle de l’assemblée tout entière. Un comité de cinq membres avait été désigné pour examiner les différentes rédactions et les refondre en une seule. Afin qu’elle ne reflétât aucun système particulier, les auteurs de projets furent exclus de ce comité, qui choisit Mirabeau pour rapporteur. Le projet du nouveau comité se distinguait surtout par un préambule où se reconnaissait la manière du grand orateur ; mais au fond Mirabeau était convaincu que la rédaction définitive de la déclaration devait être remise à l’époque où, serait achevée la constitution. Son projet fut écarté, et l’on résolut d’engager la discussion sur le meilleur des projets antérieurs. Celui qui avait paru sous le nom du sixième bureau l’emporta. Après qu’on lui eut donné le magnifique préambule composé par Mirabeau, il fut discuté, amendé, refait dans toutes ses parties. Il n’en resta qu’un seul article.

Ni Sieyès ni Thouret ne prirent part à cette discussion, bien