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successivement Barnave et Pétion, Robespierre et Defermon, Rœderer et Chapelier, La Rochefoucauld, Goupil, Dandré, Duport. Une définition rigoureuse était impossible. Ce qui importait surtout, c’est que la presse ne sortît point des mains du pays. « Il ne faut point que les pouvoirs constitués soient les maîtres de prononcer et sur le fait du délit et sur le fait de celui qui en est l’auteur ; il faut que ce soit la nation, il faut que ce soit le peuple, intéressé à conserver la liberté de la presse, il faut que ce soient des jurés. C’est là que réside principalement et substantiellement la véritable garantie à donner à la liberté de la presse. » Cette observation de Thouret résumait tout le débat, et après bientôt trois quarts de siècle le problème se pose de nouveau. Sans jury, peut-on dire que la presse est libre ? Sans la presse, que deviennent les droits essentiels de la déclaration ?

N’est-ce point parce que la liberté de la presse fut trop souvent enlevée au pays que la déclaration a subi ces brutales et incessantes atteintes qui l’ont mise en perpétuelle contradiction avec les lois qui nous régissent ? L’assemblée voulait qu’on pût y ramener tous les actes du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif comme à leur source première. « Si dans la suite des âges, avait dit l’archevêque de Bordeaux en exposant la déclaration des droits, une puissance quelconque tentait d’imposer des lois qui ne seraient pas une émanation de ces mêmes principes, ce type originel et toujours subsistant dénoncerait à l’instant à tous les citoyens ou l’erreur ou le crime. » Ce n’était là qu’une brillante illusion. Les régimes se sont succédé, les lois se sont amoncelées sur les lois ; à quoi donc a servi la déclaration des droits ? Sous le premier empire, des décrets portèrent les coups les plus violens à la justice, à la propriété, à la liberté. Le sénat resta muet, non qu’il fût désarme, la constitutionnalité des décrets et des lois était spécialement déférée à son examen et à son contrôle ; mais la presse était sous la main du pouvoir, et sans ce puissant levier de l’opinion toutes les institutions fléchissent, la justice elle-même n’a plus l’énergie suffisante pour réprimer les violations les plus manifestes de la loi. La déclaration des droits est formellement rappelée en tête de la constitution qui régit la France du second empire, et la presse a reconquis depuis peu de temps quelques-uns de ses droits. C’est un rigoureux devoir pour le sénat d’aujourd’hui de ramener toutes les lois, tous les décrets au type originel que la déclaration leur impose et de signaler « l’erreur ou le crime, » pour parler comme l’archevêque de Bordeaux de la constituante, que feraient bien d’imiter les cardinaux du Luxembourg.

Appelée la première à s’inspirer des grands principes qu’elle avait formulés, on peut dire que l’assemblée constituante s’efforça d’y rester fidèle. « Il n’est pas douteux, écrivait depuis Barnave, que