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des traces humaines. Ces hommes déjà bien plus récens, les plus anciens pourtant qui aient laissé quelques débris d’eux-mêmes, sont ceux que M. Boucher de Perthes a fait connaître au monde savant et que celui-ci refusa si longtemps d’admettre. Pour vaincre cette résistance, ce ne fut pas assez des savans français les plus consciencieux, on dut procéder par enquête et faire appel aux étrangers, spécialement aux Anglais. Personne ne songe plus à contester ces découvertes ; elles consistent principalement en haches ou hachettes[1] de silex, taillées à grands éclats, en forme de disque oblong, ovale ou triangulaire, quelquefois en palette, ou prolongé par un des côtés en une sorte de manche ; les bords amincis au moyen d’éclats donnent à l’instrument une forme plus ou moins régulière qui saute aux yeux de l’observateur. La dimension de ces outils primitifs est en général bien supérieure à celle des instrumens d’un âge plus récent ; ces derniers sont aussi plus variés. Il semble donc que la division du travail, cet indice de la perfectibilité humaine, ne se soit manifestée que peu à peu. L’homme du renne possédait tout un atelier d’objets dont la destination a pu être déterminée approximativement ; mais ici l’homme n’a encore que des instrumens très peu diversifiés et qui semblent avoir été indifféremment appliqués à plusieurs usages. C’est l’indice d’un développement rudimentaire. Si dans l’enfance des langues les racines toutes monosyllabiques représentent à la fois l’objet et l’attribut et, par extension, le verbe, on conçoit que l’intelligence primitive appliquée à l’industrie n’a dû trouver que peu à peu les formes différentes qu’un instrument peut présenter pour être mieux adapté à un usage déterminé ; tout ce qui particularise et par conséquent multiplie les opérations de l’esprit est une complication à laquelle l’homme n’arrive que par degrés.

Du reste, rien de plus aisé à saisir que la physionomie des instrumens de cet âge ; on en a rencontré successivement sur bien des points de l’Europe et toujours dans des graviers contemporains de ceux de la Somme ; ils sont fréquens, au témoignage de M. Lubbock, dans le Suffolk, le Kent, le Bedfordshire, le Hampshire. Ceux que M. Wyatt a trouvés dans des graviers près de Bedford offrent d’autant plus d’intérêt que ce gravier repose sur le" détritus glaciaire et fixe l’âge précis de ces spécimens et de ceux d’Abbeville et d’Amiens aux temps qui suivirent le phénomène erratique du nord. D’autres ont été recueillis dans la vallée de la Seine, notamment auprès de Grenelle et à Précy, près de Creil. M. de Verneuil

  1. Ce nom désigne d’une manière très imparfaite un instrument dont on ignore en réalité la destination.