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devant les premières immigrations celtiques ; celles-ci déterminèrent une nouvelle fusion, que les Cymris, les Germains, les Slaves, couches successives de ces alluvions humaines, sont venus compléter plus tard. De ces élémens, associés ou confondus, sont sorties les populations modernes dont l’ensemble, à travers tant de croisemens, représente la race la plus énergique, la plus intelligente et la plus féconde qui fut jamais. Le véritable progrès est sans doute à ce prix, et l’unité de l’homme se refait ainsi sur une base indestructible.

On est donc ainsi amené à constater pour l’homme la loi nécessaire du progrès, la loi de la perfectibilité ; elle est inscrite sur chaque échelon que l’humanité gravit dans sa marche progressive, elle explique aussi l’infériorité de certaines races, leur déclin et leur disparition au contact de races plus fortes, mieux armées pour ce combat de la vie qui se poursuit dans la nature entière. La certitude de cette loi nous explique pourquoi il est si difficile de remonter par l’observation des faits contemporains jusqu’au berceau des races humaines. L’examen de celles que nous avons sous les yeux nous fait à peine entrevoir les divers degrés qu’elles ont dû traverser ; l’état antérieur et originaire nous échappe entièrement ; obscur et faible, comme tout ce qui commence, il n’a eu pour témoins que des acteurs peu nombreux et qui ont entièrement disparu de la scène. Les races actuelles sont le résultat d’une cause qui n’existe plus. Chaque race, survivant dans une partie de ses descendans et succombant dans les autres, a longuement élaboré les traits qui la caractérisent. A la distance où nous sommes du point de départ, il se trouve que la plupart des jalons intermédiaires ont été enlevés. Ce que nous connaissons n’est que le dernier résultat d’une série de transformations obscures. La paléontologie seule, en fournissant des dates précises et des élémens directement empruntés à un passé sur lequel nous manque toute autre donnée, pourrait encore ici servir de guide ; mais toute science a son côté faible, celui de la paléontologie consiste dans la rareté et l’insuffisance des documens. Jusqu’à quel point est-il permis de croire que nos inductions les plus hardies pourront pénétrer dans le passé de l’homme ? C’est là un secret aussi obscur que celui de l’origine même du genre humain ; c’est déjà beaucoup de pouvoir affirmer, malgré tant de préjugés contraires, que cette origine dépasse en ancienneté tout ce qu’on avait supposé jusqu’ici.


GASTON DE SAPORTA.