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doute qu’à aggraver les difficultés d’une situation au moins délicate ; mais en même temps ce serait une étrange erreur de croire que l’opposition de son côté est sans responsabilité et sans devoirs dans ce mouvement qui s’accomplit aujourd’hui. L’opposition a le vent pour elle, elle ne peut garder ses avantages qu’en se maintenant sur le terrain où elle a lutté, en s’inspirant de la vraie pensée, des véritables intérêts du pays. Le premier effet d’un régime plus libre est de rendre la parole à des groupes réduits pendant longtemps au silence, de permettre à tous les partis de rentrer dans l’arène de la discussion publique, et il est parfaitement simple que toutes les nuances d’opinions se produisent dans leur netteté, dans leur diversité. Seulement, qu’on y songe bien, la plus singulière méprise serait de croire qu’il ne s’est rien passé depuis quinze ans, que cette réaction libérale à laquelle nous assistons est la réhabilitation d’une date, la victoire spéciale d’un parti. Une méprise plus dangereuse encore serait de se figurer qu’il ne reste plus qu’à remettre à neuf les vieux galons révolutionnaires et à offrir au pays une perspective d’agitations indéfinies. Il est fort à craindre que ce ne fût là le meilleur moyen de revenir en arrière et de reperdre le terrain qu’on a gagné, parce qu’après tout le pays n’est ni avec les sectes ni avec les coteries. Ce qu’il veut et ce qu’il a le droit de vouloir, c’est la liberté pour tous, c’est le droit de discuter ses intérêts et de se gouverner lui-même, c’est un contrôle plus efficace sur ses finances et sur son administration aussi bien que sur ses affaires extérieures. Tout ce qui tendrait à faire dévier ce courant d’idées et à dénaturer ou à rétrécir le mouvement actuel n’aurait probablement d’autre résultat que de compromettre encore une fois la cause libérale, de préparer des déceptions nouvelles, et il n’est pas même sûr que ce ne fût là encore le plus court chemin pour arriver à la guerre, cet éternel expédient dans les crises devenues inextricables.

Tel est au surplus le courant des choses qu’il y a aujourd’hui en Europe bien peu de points où des questions également graves ne s’agitent pas ; il y a bien peu de pays, de l’orient à l’occident, du midi au nord, qui d’une façon ou d’autre, de près ou de loin, ne soient engagés dans un mouvement dont la nature et les proportions restent à l’état d’énigme provocante. Ce mouvement continu et profond qui tient à tant de causes, il peut se voiler sous des dehors qui font illusion ; il s’accélère ou se ralentit selon les circonstances, presque selon les saisons, et, à ne considérer que l’apparence, en ce moment par exemple nous pourrions nous croire à une de ces heures où la politique, fatiguée de tourner dans le même cercle, se donne quelques jours de repos et d’oubli. Les souverains en effet sont partout, excepté dans leurs palais. La reine d’Angler terre elle-même, si peu voyageuse d’habitude, vient de traverser Paris, allant reposer ses mélancolies de veuve en Suisse, aux bords du lac de Lucerne. L’empereur de Russie est en Allemagne, se rendant de ville en ville jusqu’à ce qu’il rencontre le roi de Prusse, qui est à Wiesbaden.