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ces réunions, depuis le ministre de l’intérieur, M. Giskra, qui s’est laissé un peu aller à l’exaltation allemande, jusqu’au chancelier d’état, M. de Beust, qui est apparu à la un pour remettre un peu d’ordre dans les esprits, pour verser un peu d’eau, qu’il apportait tout exprès de Gastein, sur cette expansive ivresse germanique. C’est un des symptômes les plus saisissans de la transformation de l’empire autrichien. Au fond, quel est le sens politique et pratique de ces fêtes de Vienne ? Est-ce une manifestation sérieuse contre la prépondérance prussienne ? Est-ce un retour vers l’Autriche, payée de ses malheurs et de ses bonnes volontés libérales par cette revanche inattendue d’une popularité nouvelle ? Est-ce un épisode de ce mouvement dont parlait M. Thiers, il y a quelques semaines, et qui consisterait dans un travail de l’Allemagne sur elle-même pour revenir à ses vieilles conditions historiques, à un fédéralisme plus ou moins mitigé, ne fût-ce qu’à ce fameux système des trois tronçons qui n’a vécu qu’un jour, et qui n’a été qu’une illusion oratoire ?

Il ne faut pourtant pas s’y tromper et passer son temps à croire que les destinées des peuples vont rebrousser chemin pour notre tranquillité. Ces fêtes de Vienne ont été une chose bien allemande. Qu’un sentiment d’irritation se soit fait jour contre la politique prussienne, contre la guerre de 1866 et la manière dont elle s’est accomplie, qu’il y ait au-delà du Rhin un parti dont les instincts anti-prussiens ont fait explosion, oui sans doute. La Prusse et M. de Bismarck ont reçu plus d’une éclaboussure à Vienne, et c’est à peine si le premier ministre du roi Guillaume n’a pas été mis pour sa politique au-dessous de M. de Metternich ; mais en somme quel est le grand grief contre M. de Bismarck ? C’est qu’il n’est pas assez Allemand, qu’il n’a pas fait assez. Ce qu’on lui reproche, c’est d’avoir donné les duchés de l’Elbe à la Prusse au lieu de les donner à l’Allemagne, d’avoir abandonné Luxembourg, de maintenir encore cette barrière fictive du Mein, d’avoir séparé de l’Allemagne les Allemands de l’Autriche. Quoi encore ? Ce qu’on lui reproche, c’est d’avoir livré la frontière impériale de l’Adige ou du Mincio, d’avoir voulu en 1866 amener l’armée italienne au cœur de l’Allemagne, et c’est avec une indignation mal contenue, réveillée par l’incident La Marmora-Usedom, qu’un orateur a dit aux habitans devienne : « Mes amis, on a voulu vous donner une garnison des Abruzzes ! » Ce qu’on reproche enfin à M. de Bismarck, c’est de ne pas rester le chevalier fidèle de la grande idée, de la grande mère Germania. En d’autres termes, c’est la lutte de l’unité allemande à outrance, indéfinie, révolutionnairement poursuivie, contre l’unité progressive, politique, proportionnée aux circonstances. Nous ne voyons pas, pour nous, ce que nous pouvons espérer de l’un ou de l’autre parti, et quant à M. de Bismarck, du fond de la retraite où il prend du repos, il a pu suivre sans s’inquiéter les événemens de Vienne. Il n’est pas homme à s’effrayer de la disparition de la frontière du Mein, ou même d’un démembrement nouveau de l’Autriche, si on y tient, et encore moins à refuser pour le roi