Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poisons, mais de l’ensemble des phénomènes nerveux. Chaque nerf a une extrémité active et une extrémité passive. Le nerf moteur est actif par son bout périphérique, celui qui s’insère dans la matière musculaire; le nerf sensitif au contraire est actif par son bout central, celui qui tient à la moelle. Chacun d’eux se comporte en quelque sorte comme s’il avait une tête, un corps et une queue, et ils sont d’ailleurs disposés en sens inverse l’un de l’autre, l’un ayant la tête où l’autre a la queue. C’est par la tête, c’est-à-dire par le bout actif, que chacun des nerfs reçoit l’influence délétère de son poison spécial. La strychnine attaque le nerf sensitif du côté de la moelle; le nerf moteur est au contraire attaqué par le curare du côté périphérique. C’est pour cela que, dans un membre que l’on préserve de l’afflux du sang, le nerf moteur demeure intact alors même qu’à son insertion dans la moelle il est baigné par le sang curarisé. La tète des nerfs reçoit donc, en cas d’empoisonnement, l’influence toxique; elle reçoit aussi dans l’état normal l’influence vivifiante du sang. Si l’on empêche l’arrivée du sang de façon à faire périr le nerf par anémie, le nerf meurt d’abord par son extrémité passive, et la mort se propage de la queue à la tête[1]. De l’ensemble de ces faits M. Claude Bernard conclut que le nerf moteur et le nerf sensitif ont des propriétés intrinsèques qui ne sauraient être confondues.

M. Vulpian, avons-nous dit, se place à un autre point de vue. Pour lui, les deux espèces de nerfs, tout en remplissant des fonctions diverses, ne diffèrent point par des propriétés spéciales, et il y a entre elles identité au point de vue physiologique. On ne peut pas dire que l’une jouisse d’une propriété individuelle qui serait la motricité, et l’autre d’une propriété individuelle qui serait la sensitivité. Les faits, aux yeux de M. Vulpian, n’autorisent pas une pareille assertion. Parce qu’on voit, parmi les muscles, les uns mouvoir des os, d’autres tenir des orifices plus ou moins-fermés, d’autres encore élargir ou contracter des vaisseaux, dira-t-on qu’ils le font en vertu de propriétés intrinsèques et indépendantes? Ce serait, dit M. Vulpian, un véritable abus de langage. Il n’y a pour tous les muscles qu’une propriété vraiment autonome, la contractilité; de même il n’y a pour tous les nerfs qu’une seule propriété, qu’on peut appeler, si on veut lui donner un nom spécial, la neurilité. Il n’y a point une neurilité sensitive et une neurilité motrice; la neurilité est la même dans les deux ordres de fibres nerveuses.

  1. L’influence du sang ne doit point d’ailleurs ici se confondre avec la nutrition; la propriété nutritive des nerfs paraît en effet résider dans leur extrémité passive. Pour le nerf moteur, elle réside dans une cellule de la moelle épinière. Pour le nerf sensitif, elle siège hors de la moelle et se trouve localisée dans un ganglion intervertébral.