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rent à la longue à se les approprier, ou tout au moins à en acquérir la jouissance exclusive en laissant la propriété du fonds à la puissance souveraine.

Aussi chasseurs que leurs devanciers, les Carlovingiens cherchèrent à restreindre les usurpations de la noblesse en lui interdisant de se faire de nouvelles réserves, et prescrivirent contre le braconnage des mesures rigoureuses. En même temps Charlemagne organisa ses équipages de chasse avec un grand luxe. Quatre veneurs étaient chargés de la surveillance des meutes, et un fauconnier de celle des oiseaux de proie. D’autres officiers, nommés bersarii, beverarii et veltrarii, étaient affectés aux chasses à tir, à celles des castors et à la garde des lévriers. Ils étaient subordonnés aux principaux dignitaires de la cour, qui leur donnaient les instructions, soit pour la composition des équipages, soit pour les déplacemens, soit pour les approvisionnemens des châteaux. Tous les ans, vers la fin de l’été, Charlemagne se transportait dans un de ses palais de chasse et y passait l’automne à se livrer à son plaisir favori, entouré des princes et des princesses de sa maison et de toute sa cour. On poursuivait le cerf pendant le mois d’août et le sanglier pendant le reste du temps. Ces grandes chasses d’automne, organisées comme des expéditions militaires, ressemblaient assez aux prodigieuses battues que faisaient encore au siècle dernier les souverains d’Allemagne. Des armées de traqueurs et des meutes nombreuses poussaient tous les animaux d’une contrée dans des enceintes de toiles et de panneaux où les principaux veneurs les attaquaient à cheval avec la lance et le javelot. Charlemagne se plaisait surtout à montrer les splendeurs de sa vénerie aux princes étrangers et à déployer devant eux son adresse et son courage. Les chroniques du temps sont pleines de récits de ce genre.

Quand la féodalité se fut organisée sur les ruines de l’empire carlovingien, la chasse devint un des privilèges de la noblesse et un de ceux auxquels elle tint le plus. Les barons féodaux, comme les Germains leurs ancêtres, passaient à la chasse tout le temps qu’ils ne consacraient pas à la guerre, et le plus souvent ils ne se mettaient en campagne qu’accompagnés de leurs faucons et de leurs chiens. Il n’était pas une fête sans que l’équipage de vénerie ne fit partie du cortège, pas un château dont la grande salle ne fût ornée de trophées de chasse mêlés aux trophées de guerre. Quant au mode de chasse, il consistait à faire forcer et coiffer les animaux par les chiens et à les tuer ensuite d’un coup d’épieu. Les Normands importèrent ce goût avec eux en Angleterre et s’y adonnèrent au point que Guillaume le Conquérant, non content des immenses forêts qu’il trouva dans l’île de Bretagne, fit détruire trente-six paroisses et