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nait exclusivement au souverain comme dans son propre domaine, et en son absence au capitaine qui le représentait. Cette jouissance s’étendait même aux jardins clos de murs, dont les capitaines se faisaient, quand bon leur semblait, ouvrir les portes. On ne se contenta pas de confisquer le droit de chasse aux propriétaires, on leur imposa pour la conservation du gibier, qu’ils ne devaient pas tuer, des mesures aussi onéreuses que vexatoires. Ils étaient tenus d’épiner leurs champs dans les huit jours qui suivaient la récolte, ne pouvaient faucher leur pré ni couper leur taillis avant la Saint-Jean, laisser un échalas dans les vignes une fois les feuilles tombées, élever des clôtures en maçonnerie, ni pratiquer des ouvertures dans les murs déjà construits ; les officiers désignaient les chemins à conserver et imposaient aux propriétaires l’obligation de les border de fossés de à pieds de large avec passage toutes les 50 toises, et de labourer tous les autres ; aucun chien ne pouvait sortir autrement qu’en laisse, avec billot au cou ou une jambe rompue. Pour garder la chasse et assurer l’exécution de toutes ces prescriptions, les capitaines avaient une véritable administration sous leurs ordres. Les plus grands seigneurs, les princes du sang, se disputaient ces charges auxquelles étaient attachés de nombreux privilèges : on en créait sans cesse de nouvelles, même là où le roi n’allait jamais, et uniquement pour satisfaire les favoris. Les apanagistes en faisaient ériger sur leurs domaines, et les gouverneurs des villes eux-mêmes s’arrogeaient dans un certain rayon autour des murailles les droits exorbitans que nous venons d’énumérer.

Le nombre des capitaineries, qui dépassait la centaine, fut réduit à vingt par Louis XIV, sur les réclamations unanimes que cet état de choses avait provoquées. Arthur Young, qui parcourut la France de 1787 à 1789, s’indigne encore néanmoins à chaque pas du tort que les capitaineries font éprouver aux paysans, et les considère comme la cause de l’état d’infériorité dans laquelle se trouve l’agriculture. « Lorsqu’il est question de la conservation du gibier, dit-il, il faut savoir que par gibier on entend des bandes de sangliers, des troupeaux de cerfs, non pas renfermés dans des murs ou palissades, mais errant à leur guise sur toute la surface du pays, cause de destruction pour les récoltes et de malheur pour le paysan, qui, pour avoir essayé de conserver la nourriture de sa famille, se voit envoyé aux galères. » On s’explique que, témoin de tous ces maux, il se soit écrié dans un moment de vive irritation : « Ah ! si j’étais législateur de la France, comme je ferais sauter tous ces grands seigneurs ! » L’abolition des capitaineries, décrétée dans la nuit du 4 août, ne suffit malheureusement pas pour éteindre les haines que des siècles d’oppression avaient fait germer