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visible ; mais l’illusion ne fut pas de longue durée. Une légère imprudence amena le retour de la terrible inflammation qui déjà avait mis ses jours en danger, et quant au bout de trois mois il lui fut permis de sortir de l’obscurité, ses yeux, son œil plutôt était en si mauvais état qu’à peine pouvait-il s’en servir pour lire une page ou écrire une lettre. Rien ne put le fortifier, ni un hiver passé aux Açores, ni un voyage en France, en Angleterre et en Italie, ni les prescriptions des chirurgiens les plus expérimentés de Londres et de Paris. Quand il revint à Boston après une absence de deux années, il y rapporta les mêmes souffrances, et fut forcé de s’astreindre aux mêmes précautions. Grande fut la déception de sa pauvre mère, qui s’était fait une fête de préparer pour lui une petite chambre blanche et gaie, ornée de tentures brillantes. La vue de ces vives couleurs lui causa d’intolérables souffrances, on fut obligé de peindre les murailles en vert et de draper les meubles d’étoffes foncées : heureux s’il avait suffi pour lui de pareils ménagemens ! mais il se vit dans la nécessité de combiner son existence sinon tout à fait comme un aveugle, du moins comme un homme qui doit faire de ses yeux l’usage le moins fréquent possible. Ces premières années de jeunesse furent les plus douloureuses de la vie de William Prescott. Contraint par sa famille à étudier une science pour laquelle il se sentait aussi peu d’aptitude que de goût, combattu dans son penchant pour l’histoire et les lettres, arrêté dans ses travaux, quels qu’ils fussent, par la faiblesse de sa vue, il ne trouva de consolation et d’encouragement que dans une affection vigilante placée par bonheur auprès de lui. Un grand critique a remarqué qu’on rencontre souvent à côté des hommes distingués, dans leur jeunesse, une sœur, compagne intelligente et dévouée, confidente tendre et sûre, chez laquelle on aperçoit aussi quelques traces affaiblies du génie fraternel. Durant ces jours pénibles, Prescott fut assez heureux pour trouver cette compagne et cette confidente dans Élisabeth Prescott, qui, pleine pour son frère d’une respectueuse admiration, se crut trop heureuse de lui servir à la fois de lectrice et de secrétaire. Le frère et la sœur s’enfermaient ensemble pendant des journées entières, et tandis que Prescott, assis dans le coin de la muraille, le dos tourné à la lumière, prêtait une oreille attentive, l’infatigable Élisabeth lui lisait pendant six ou sept heures de suite des ouvrages d’histoire ou de poésie. Avec l’aide de cette complice discrète, Prescott s’enhardit même jusqu’à composer un article qu’il envoya avec le plus profond secret au directeur d’une revue très répandue aux États-Unis. Plus de deux semaines s’écoulèrent sans fâcheuses nouvelles de son envoi. Grande joie chez nos conspirateurs ; déjà Prescott se tenait pour assuré du succès,