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firmité, les difficultés qu’il avait eu à vaincre, son énergie et la récompense qu’il avait reçue pour sujet de son prochain sermon.

Cette histoire dont un pareil enthousiasme saluait l’apparition est certainement un ouvrage d’un grand mérite. Prescott y déploie une merveilleuse aptitude à saisir et à mettre en relief le trait saillant des divers personnages autour desquels l’intérêt se concentre, la douceur virile d’Isabelle, l’habileté terre-à-terre de Ferdinand, le génie naïf de Colomb, l’humeur intraitable de Ximenès. Enfin il faut reconnaître l’heureux effet de certains épisodes qui se développent au milieu du cadre un peu resserré du livre, comme dans un paysage obscur se détache un endroit frappé par un rayon de soleil; mais en faisant l’éloge nous avons du même coup fait la critique. Une bonne histoire ne doit point avoir, selon nous, d’épisodes. Il ne faut pas que l’auteur, s’abandonnant complaisamment à ses préférences, donne à telle portion de son récit une étendue et un soin démesurés, sauf à rétablir l’équilibre en raccourcissant arbitrairement ou en négligeant telle autre. Sans doute il n’est pas possible qu’un long récit conserve depuis le commencement jusqu’à la fin un intérêt toujours égal. Les événemens ont leur caractère, on pourrait dire leur personnalité, indépendamment de celui qui les raconte; mais il faut que ces inégalités de l’intérêt soient le fait de l’histoire et non le fait de l’historien. Un peintre peut dessiner d’une main plus savante, peindre de couleurs plus brillantes les figures situées au premier plan d’un tableau, et tracer avec un crayon moins soigneux, revêtir de teintes plus ternes celles qui sont destinées à se perdre dans l’éloignement de la perspective. L’historien n’a pas cette licence. Il est bien plutôt semblable à l’architecte, à qui on ne pardonnerait pas de ciseler profondément telle pierre d’une façade, et de laisser à l’état fruste les autres. Une œuvre d’histoire est comme un monument; la proportion, l’harmonie, en sont les impérieuses lois. Si on viole ces lois, on peut arriver à des beautés, on n’arrivera pas à la beauté.

Peut-être Prescott ne s’est-il pas assez souvenu de ces éternels principes. Hâtons-nous de dire que le sujet dont il s’occupait prêtait singulièrement à l’erreur dans laquelle il est tombé. La période dont il entreprenait de donner l’histoire embrasse plus de cent années, et cent années remplies peut-être des plus grands événemens dont l’Espagne ait été le théâtre. Au dedans, après une longue période de guerres civiles, une brusque transformation s’opère dans sa constitution, et elle cesse d’être une expression géographique servant à désigner la péninsule comprise entre les Pyrénées et le détroit de Gibraltar, pour devenir la nation une et redoutable dont les monarques devaient pendant un siècle faire trembler l’Europe. A côté de ce mouvement national, une grande révolution po-