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uniformité; la publication successive de ses divers ouvrages et quelques-unes de ces épreuves inévitables dont l’existence la plus heureuse est traversée en marquent seules les étapes. Parmi ces épreuves se place au premier rang la perte de l’aînée de ses enfans, une petite fille de quatre ans, sa favorite entre toutes. « Jamais je ne pourrai souffrir tout ce que j’ai souffert alors, écrivait-il quinze ans plus tard, et je ne crois pas qu’il soit possible de verser deux fois des larmes aussi amères. » Cette mort tourna son esprit vers des pensées d’un ordre plus élevé et plus sérieux encore que ses occupations ordinaires. Elle fut pour lui l’occasion de vérifier la solidité de ses croyances chrétiennes et de chercher à sa foi un fondement plus solide que des traditions d’enfance. Il poursuivit ce travail avec la même conscience, la même recherche impartiale de la vérité qu’il apportait dans ses études historiques, faisant dans ses lectures la part égale aux adversaires et aux partisans de la religion révélée, opposant Hume à Butler et Gibbon à Paley. Le premier fruit de ses études fut de l’affermir dans les convictions de la philosophie déiste. Il conclut ensuite à l’authenticité des Écritures et à la supériorité du christianisme comme doctrine morale; mais il fut en même temps_ amené, nous dit M. Ticknor, « à rejeter délibérément les doctrines communément appelées orthodoxes, dont il ne trouvait trace ni dans les Évangiles ni dans le reste du Nouveau-Testament. » Cette assertion de M. Ticknor nous est au reste confirmée par une lettre de Prescott, dans laquelle nous trouvons les lignes suivantes : « J’ai grandement choqué une dame en lui disant que j’étais unitarien. Ce mot est en abomination ici (en Angleterre) à l’égal du nom de juif, de mahométan, d’infidèle ou de pire encore, car on considère un unitarien comme un loup au milieu des brebis. » Ainsi Prescott était un disciple de cette forme nouvelle ou plutôt renouvelée du christianisme que, depuis le commencement du siècle, l’éloquence et les vertus de Channing popularisaient en Amérique. Il ne paraît pas toutefois qu’il ait jamais adhéré à l’unitarianisme d’une façon bien ferme, ni connu ce repos de l’âme qu’on éprouve à sentir ses doctrines assises sur une base inébranlable. Huit ans plus tard, l’inquiétude de son esprit devait le provoquer à de nouvelles recherches. Ce second examen l’éloigna davantage encore des doctrines orthodoxes; mais il ne trouva pas au bout de ses travaux la tranquillité d’esprit après laquelle il soupirait. « La polémique et la critique religieuses, écrivait-il, au lieu d’asseoir les principes et d’éclaircir les doutes, ne sont bonnes qu’à ébranler les uns et à multiplier les autres. Vivre suivant l’honnêteté, agir suivant l’équité, craindre et aimer Dieu, aimer son prochain comme soi-même, voilà la vraie religion. Je m’attacherai donc aux grandes vérités morales enseignées par le christianisme, me contentant pour le reste d’at-