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Aussi n’était-il personne dont on attendît avec autant d’impatience l’arrivée quand il s’était annoncé quelque part, personne qui laissât derrière lui un plus grand vide quant au coup de dix heures il disparaissait sans bruit.

A en croire Prescott sur parole, un des défauts contre lequel il avait le plus de mal à lutter était une propension constante à la paresse et au découragement. A qui lit sa biographie de l’œil le plus attentif, il est difficile cependant d’apercevoir à quel moment il s’est adonné à ce penchant et quel espace remplissent ces accès de découragement. C’est ainsi que quatre mois à peine après la publication de Ferdinand et Isabelle, c’est-à-dire au printemps de 1839, nous le voyons écrire en Espagne pour obtenir l’envoi de documens relatifs à l’histoire de la conquête du Mexique, et, plein d’ardeur pour ce nouveau sujet, commencer un vaste cours de lectures générales et préparatoires. Grande fut sa joie quand arrivèrent d’Espagne les précieuses caisses de manuscrits qu’il avait demandés, et il s’occupait avec ardeur d’en dépouiller le contenu quand un nouveau contre-temps d’une nature bien différente de ceux qu’il avait traversés jusque-là vint l’interrompre au milieu de ses travaux, et faillit lui faire abandonner à jamais son dessein.

L’Amérique comptait alors au nombre de ses littérateurs les plus distingués le romancier-historien Washington Irving, plus connu en France par les compositions gracieuses du Sketch Book que par ses autres travaux plus sérieux, la Vie de Colomb et la Chronique de Grenade, dont la publication avait précédé celle de Ferdinand et Isabelle. Il semble qu’une fatalité contrariante se soit toujours appliquée à diriger vers les mêmes sujets l’attention de ces deux écrivains. Prescott était absorbé depuis un an déjà dans l’Histoire de la conquête du Mexique quand il apprit d’un ami commun que Washington Irving l’avait devancé dans cette voie. Cet ami lui donnait bien l’assurance qu’à la nouvelle de cette rivalité Irving avait protesté de sa répugnance à entrer ainsi en lutte avec l’historien de Ferdinand et d’Isabelle et qu’il avait annoncé l’intention de lui abandonner le terrain sur lequel ils avaient mis le pied tous deux en même temps; mais le moyen d’entreprendre une œuvre d’une aussi longue haleine sur des renseignemens aussi vagues? Dans cette délicate conjoncture, Prescott prit le seul parti digne de lui, digne aussi, on va le voir, de l’homme auquel il avait affaire, celui de s’expliquer franchement avec Irving. Un échange de lettres courtoises eut lieu, lettres qui pour l’honneur de tous deux vaudraient la peine d’être citées ici en entier. Dans cette correspondance, Washington Irving donnait acte à Prescott de l’abandon définitif qu’il faisait en sa faveur du sujet disputé. Peut-être Prescott eût-il de moins bon cœur accepté cet abandon, s’il eût pu