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trées qu’elle parcourt. Elle se fait Écossaise, elle et les siens, pour plaire aux braves gens qui l’entourent. Le plaid national est de rigueur ; elle porte l’écharpe, et le soir le prince Albert revêt le costume de highlander. Ici l’on peut saisir la nuance différente de la loyalty, du royalisme, en Écosse et en Angleterre. De ce côté-ci de la Tweed, l’amour du peuple pour son souverain n’est pas douteux. Quel que soit l’éclat d’un grand nom ou l’admiration d’une renommée exceptionnelle, nul n’est plus populaire que le roi. Sa présence, son nom seul, ont une puissance magique sur les esprits. Les plus petites circonstances révèlent ce profond attachement du peuple à ses chefs héréditaires. Voyez les groupes qui se forment devant un étalage de photographies : celles de la reine, du prince de Galles, du duc de Cambridge, attirent sans comparaison le plus de monde ; c’est une curiosité que les années ne semblent pas rassasier. Voilà un genre de snobbisme qui est toujours une religion, et que Thackeray a oublié ; mais cette affection des Anglais pour leur souverain est un de ces amours jaloux, ombrageux, qui ne ménagent point ceux qui en sont l’objet. Les Anglais, peuple querelleur, pointilleux, difficile à contenter, toujours sur le chapitre de la critique, comme le personnage de Shakspeare, nothing if not critical, les Anglais se plaignent sans cesse de leurs maîtres, et ils les aiment. Ils traitent la royauté comme s’ils l’avaient épousée, et l’adorent tout en examinant ses comptes d’un œil très sévère. Traversez la Tweed et surtout parcourez les montagnes, vous retrouvez le peuple qui se pressait autour du prétendant ; les transports du royalisme sont les mêmes, la dynastie seule est changée. Les Écossais, comme certains peuples du continent, se voient eux-mêmes et s" adorent dans leurs princes. Quelques avances les séduisent ; ils ont aimé leurs souverains jusqu’à vouloir être dupes. Ce n’est pas l’amour jaloux, c’est l’amour aveugle et qui se jette à la tête de qui en est l’objet. Ce royalisme a des retours terribles dont l’histoire d’Écosse est remplie ; mais quoi ? il a les caractères de la passion, et il n’est pas étonnant que la reine en ait été touchée.

Trois reines et trois palais marquent les époques différentes de la royauté anglaise : les trois reines sont Élisabeth, Anne et Victoria ; les trois palais sont Windsor, Kensington et Balmoral. Élisabeth imprime à Windsor un cachet de grandeur qui est l’image de son pouvoir presque absolu ; à ce château, qui s’élève majestueusement sur la hauteur, elle ajoute une magnifique terrasse qui domine au loin le pays, et lui permet de promener ses regards sur les riches abbayes, les nobles résidences, les campagnes plantureuses, les petits hameaux. C’est ainsi que dans son royaume elle voit sous sa main et confondus dans une égale obéissance les prélats ambitieux,