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belle lune, avec ces pierres précieuses du ciel qui lui font une robe étoilée... Mais sans toi ni le souffle du matin quand il s’élève avec la chanson matinale de l’oiseau, ni le lever du soleil sur cette campagne, ni gazon, ni fruit, ni fleur, avec les gouttes de rosée brillante, ni parfum de la terre après la pluie, ni soirée calme, ni silencieuse nuit avec le chant grave de l’oiseau, ni promenade au clair de lune, ni étoiles scintillantes, rien de tout cela n’est doux sans toi... »

Admirable destinée pour ce grand poète de faire partie pour ainsi parler de la vie morale de sa nation, d’être à chaque instant la force ou la consolation du riche comme du pauvre, de la reine comme de la dernière de ses sujettes! Qui pourra dire combien de jeune filles ont rêvé de ce soleil se levant sur l’Éden, de cette lune et de ces étoiles confidentes d’un bonheur légitime? Une fois en leur vie au moins, elles retournent à ce bonheur primitif, elles se revêtent de cette splendeur native que l’imagination du poète a retrouvée. Qui pourra dire aussi combien de veuves ont pleuré sur cette page immortelle, combien, et des plus humbles, ont rebâti pour un instant dans leur pensée leur Éden perdu ? Voici qu’une reine en vient grossir le nombre et peut y lire sa propre destinée. Elle aussi, elle a décrit son paradis terrestre avec toute la simplicité d’une âme plus habile à sentir qu’à exprimer. Le journal de la reine Victoria, malgré la distance infinie qui l’en sépare, est un commentaire de la page de Milton. Pour finir par où nous avons commencé, elle a pu apporter à sa peine un adoucissement légitime et qui lui est commun avec tant d’autres. Il a fallu chez nous des révolutions pour nous apprendre « combien de larmes pouvaient contenir les yeux des rois. » La princesse dont nous parlons règne sur une nation qui fait du loisir à ses souverains en gouvernant elle-même ses affaires, et elle a pu consoler sa douleur privée par les moyens que permet la vie privée. Si pourtant l’on est tenté de condamner encore l’obstination de la tristesse en un rang si élevé, son livre semble dire : « Voilà la félicité dont je jouissais et dont je suis privée; jugez maintenant si l’excès de ma douleur est pardonnable! »


LOUIS ETIENNE.