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qu’en se portant en avant à marches forcées, afin de paraître avant lui sous les murs de la forteresse. De Sénafé à Magdala il n’y a tout au plus que vingt et quelques étapes : une colonne mobile aurait pu atteindre l’ennemi dans le courant de février, lui arracher les captifs et revenir à la côte un mois après, terminant ainsi la guerre de la façon la plus prompte et la plus économique; mais cette entreprise audacieuse ne devait être couronnée de succès qu’autant que l’armée anglaise rencontrerait une population bien disposée et un pays assez riche pour lui fournir les vivres et les moyens de transport nécessaires. En cas d’échec, le résultat pouvait être désastreux. Le général en chef ne voulut pas écouter ces conseils aventureux. Quoique de mauvais prophètes prétendissent déjà que la campagne ne serait pas finie avant la saison des pluies et qu’un séjour de deux années en Abyssinie était inévitable, sir Robert Napier entendait ne pas se départir de la marche prudente qui jusqu’alors avait si bien réussi. S’assurer à Zullah ou à Koumaïli une base d’opérations que la flotte ravitaillerait sans cesse, couvrir la ligne de marche par trois camps retranchés, Sénafé, Addigerat et Antalo, qui maintiendraient les communications libres en arrière, avancer enfin sur Magdala avec l’élite de ses forces, telle était la tactique classique que l’habile général se disposait à suivre.

Sir Robert Napier arrivait à Sénafé le 29 janvier, après avoir consacré près d’un mois à la réorganisation des moyens de transport. Ce temps du reste n’avait pas été perdu. A Sénafé, le commissariat avait fait d’immenses achats de grain, de fourrages, de bœufs et de moutons. Durant ce même mois de janvier, les corps de troupes avaient travaillé sans relâche à la route, si bien que les voitures arrivaient maintenant en haut du plateau. Ce qui restait de bêtes de somme devenait donc disponible pour accompagner les colonnes actives à l’intérieur de l’Abyssinie. En même temps une ambassade amicale avait été envoyée au dedjaz Kassa, le prince du Tigré. Elle se composait de M. Werner Mun4nger, agent consulaire de France et d’Angleterre à Massaoua, l’un des hommes qui ont le plus voyagé en Ethiopie et connaissent le mieux cette contrée, et du major Grant, l’heureux compagnon du capitaine Speke, dont le voyage aux sources du Nil a eu tant de retentissement. Kassa reçut les deux envoyés avec cordialité. Il leur promit d’assister l’armée anglaise, de lui faire fournir des vivres autant qu’il dépendait de lui. Il comprenait à merveille que la défaite de Théodore ne devait être qu’avantageuse à son propre pouvoir. Au fond, il comptait, paraît-il, profiter de l’appui des Anglais pour s’agrandir; mais on ne lui laissa aucune illusion sur la nature du concours qu’il devait attendre de ses nouveaux alliés.