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vriers feraient à la fois preuve de bon jugement et de bon goût. Il est vrai que cette note discordante est partie de Genève plutôt que de Paris, et à la suite d’assez fâcheuses scènes qui ont accompagné la grève des ouvriers du bâtiment. La contrainte y avait joué un grand rôle : les meneurs, disposés par groupes aux portes des ateliers, en interdisaient l’entrée à ceux de leurs camarades qui s’y présentaient avec l’intention de reprendre tranquillement leur travail. Il y avait même eu dans quelques établissemens violation de domicile; des intrus avaient forcé les consignes, et, se plaçant devant les machines, s’étaient écriés : On ne travaille pas, prêts à traduire en voies de fait cette injonction impérieuse. Sur quelques points, il est vrai, et surtout dans les campagne, on leur avait tenu tête : ici le tocsin avait sonné, et le maire, ceint de son écharpe, avait signifié qu’il maintiendrait ses chantiers, fût-ce par la force; là une légion de vignerons avait si à propos appuyé les ouvriers honnêtes que la grève avait dû battre en retraite. Néanmoins dans la grande majorité des cas les ateliers s’étaient vidés aux premières sommations, et les auteurs des voies de fait avaient eu le dessus. Qu’on juge de l’état des esprits! La ville et la banlieue étaient en alerte, des groupes s’y formaient et se promenaient de quartier en quartier; devant eux, les marteaux se taisaient, la vapeur désarmait, les patrons délibéraient à huis clos, les ouvriers remplissaient les places publiques de leurs défis : autant de scènes de comédie qui sur le moindre incident auraient pu tourner au drame.

Si les choses n’allèrent pas plus loin, on le doit au tempérament suisse. D’un côté, on a eu le soin de prolonger les pourparlers de manière que la première effervescence se calmât; au lieu de coups on échangeait des phrases, ce qui était tout profit pour les deux camps. D’un autre côté, les autorités locales avaient cru devoir, pour ne pas envenimer la querelle, garder la neutralité, même au prix de quelques atteintes impunies portées à la liberté individuelle. C’était sagement agir. Les partis livrés à eux-mêmes rendirent, à peu de temps de là, les armes de lassitude, les patrons persistant à tenir l’association en dehors de tout traité et lui refusant qualité pour y figurer à quelque titre que ce fût, mais en revanche ne se refusant pas à des arrangemens individuels avec les hommes qu’ils employaient. Ainsi avait fini à petit bruit une échauffourée menaçante au début. Seulement, — ce qui était à prévoir, — les difficultés sont restées les mêmes après comme avant; vainqueurs ou vaincus, tout le monde sait qu’il y a là un différend à reprendre. Pour les patrons, il n’y aura pas de sécurité possible tant que leurs droits seront si ouvertement méconnus et si imparfaitement garantis. Pour les meneurs de grève, la satisfaction est au moins mélan-