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gée: ils ont bravé la loi et se sont exposés à des poursuites, ils ont commis un acte qui doit peser aux consciences, une violation de domicile, et cela sans aboutir à ce qu’ils se proposaient, la reconnaissance de leur association. Voilà deux catégories de mécontens; il y en a une troisième, c’est la masse des ouvriers urbains et ruraux dont on a troublé le travail et par conséquent les moyens d’existence. Dès qu’ils n’étaient pas complices, ils ont été victimes et victimes trop résignées. C’est donc une revanche à prendre, à moins qu’on ne consente à subir, comme on l’a fait trop souvent, le joug de volontés turbulentes, quelquefois perverses, comme à Sheffield.

Cet état des esprits explique ce qu’a d’amer la défense des inculpés de l’Association internationale. La mauvaise humeur du groupe suisse s’est communiquée au groupe parisien : de là de vieilles diatribes à l’usage des gens mécontens d’eux-mêmes et d’autrui. Genève, qui donnait le ton, se montrait bien autrement véhémente que Paris. Dans un pamphlet local, on dénonçait la bourgeoisie comme responsable aux yeux de l’Europe des événemens récens, et incapable de jamais comprendre les besoins des hommes voués aux travaux manuels. Elle avait, ajoutait-on, creusé un fossé profond entre elle et le peuple; désormais il fallait que le peuple fît ses affaires sans elle et contre elle. « Ouvrier, s’écriait le pamphlet en terminant, sois enfin libre et indépendant de toute influence; l’avenir t’appartient. » Tout cela, parce que des entrepreneurs mis à rançon avaient trouvé moyen de s’y soustraire, et qu’il n’était rien résulté de productif d’une main mise sur l’activité de toute une ville! Des routiers n’auraient pas autrement parlé. A Paris, on insistait davantage sur les faits, moins sur les invectives. Le document juridique raconte avec un grand luxe de détails comment le comité parisien avait été entraîné à soutenir Genève dans le conflit qui s’y était engagé. La résolution n’avait pas été prise à la légère, et plus d’une dépêche télégraphique avait été échangée avant qu’on prît un parti. La grève durait depuis quinze jours quand des quêtes furent ouvertes et que le premier secours fut envoyé, secours dont on ne dit pas le chiffre, mais qui fut probablement de peu d’importance. La chasse aux centimes ne conduit jamais bien loin, et le bureau de Paris avoue que, pour un emploi de ce genre, il n’avait pas de fonds sous la main. Le seul expédient était un appel aux sociétaires. La grève défaillante y trouva à peine quelques jours de répit, et comme d’habitude ce fut encore à la bourgeoisie qu’on s’en prit. Attaquée, la bourgeoisie avait usé de toute arme pour se défendre; quelques boulangers avaient refusé de vendre du pain aux meneurs notoires de la grève, à ceux qui usaient d’intimidation. C’était aller bien loin: mais comment conserver tout son sang-froid en présence