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une rupture de grève hors des consignes générales, ou un contact avec les ateliers interdits; de la part des étrangers c’est un embauchage d’apprentis qui agissait sur le salaire comme dépréciation, ou bien le soupçon de tarifs secrets imposés ou consentis au préjudice des tarifs ostensibles. Dans ces divers cas et dans d’autres cas plus obscurs, la poudre parlait, comme disent les Arabes. Imposés, ces guets-apens étaient en outre payés. Il y avait une caisse secrète et un tarif avec une échelle d’indemnités. Quelquefois une dîme était prélevée au profit d’un secrétaire-général de ces unions chargé de marchander le prix du sang. On se serait cru dans les Abruzzes ou dans les Calabres.

Ces actes odieux étaient-ils au moins restreints à un petit nombre de complices? Non, l’enquête ne laisse aucun doute là-dessus. Ce secrétaire-général disposait de huit mille ouvriers à Sheffield, de soixante mille dans le reste de l’Angleterre. Qu’ils n’eussent pas pour la plupart la conscience des excès commis en leur nom et avec leur argent, rien de mieux démontré, mais ils n’en étaient pas moins enveloppés dans ce réseau de terreur et d’exécutions souterraines. Les autres unions anglaises, à les confesser toutes comme on a confessé l’union de Sheffield, y ajouteraient un contingent formidable, sous un régime, il est vrai, moins révoltant. Aucune ne s’est privée, au début surtout, de quelques moyens de coaction pour remplir et maintenir ses cadres : enlèvement d’outils, amendes, avanies, voies de fait, enfin tout un appareil de violences que nos anciennes corporations ont connu et que notre code civil désigne sous le nom de damnations; triste legs qui remonte aux temps où les gens de métier promenaient leurs bannières dans les Flandres et s’y faisaient au besoin justiciers des leurs. Avoir maintenu ces procédés d’un autre âge est bien de l’esprit anglais, aussi opiniâtre que résolu; même là, ces procédés n’auront pas des racines profondes, le jour sinistre qui s’est fait suffira pour guérir les plus pervers. Quant à nous, on peut dire que jusqu’ici nous n’avons pas même eu à nous défendre; un instinct de race, peut-être aussi la vigilance officielle, nous ont épargné ces écarts. Il ne faudrait pourtant pas s’y fier outre mesure; il y a là le germe d’un mal qui nous a gagnés une fois et pourrait nous reprendre, le mépris du droit individuel quand il s’agit d’un intérêt de corps. L’intérêt de corps, c’est une idolâtrie dangereuse qui a conduit les unions de Sheffield à la sape et au meurtre, et qui conduirait au moins à des usurpations de pouvoir ceux qui abonderont dans le même sens. On a beau dire qu’on n’en usera qu’avec discrétion; dès qu’on usurpe, sait-on jamais jusqu’où l’on ira? Voilà donc un premier groupe qui, dans des jours de trouble, peut nous exposer à bien des sur-