Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/472

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des ouvriers n’est après tout qu’une arme de combat; ils n’y tiendront que parce qu’elle accroît leurs forces. Dans ce sens ils n’ont pas toujours donné leurs suffrages aux hommes qui leur convenaient le mieux, aux hommes d’action, aux martyrs de leur cause; ils ont choisi ceux qui pouvaient tenir tête avec plus d’avantage aux candidats de l’administration. Rester maîtres du champ de bataille, voilà leur objectif; ils voulaient ce qu’ils ont eu, une représentation homogène. Devant ce dessein, les ambitions inopportunes s’effaçaient; comment y songer tant que le gouvernement ne quittait pas la partie, persistait dans les formalités du domicile et les chicanes de circonscription, ne se départait d’aucune de ses rigueurs? Voilà ce qu’étaient les choses hier, seront-elles ainsi demain? Si le gouvernement se relâche et laisse, à Paris du moins, les élections à peu près dégagées, l’état des esprits n’en éprouvera-t-il pas quelque changement? Ces ambitions inopportunes, longtemps contenues, n’estimeront-elles pas que l’heure d’une revanche est arrivée? La plate-forme politique n’a pas été relevée pour rester vacante; nos ouvriers y retrouveront des émotions que ne peut leur donner au même point la tribune parlementaire. Y seront-ils indifférens? La conséquence la plus immédiate de ce mouvement serait un flot de candidatures et probablement de candidatures d’ouvriers.

C’est là un cercle d’épreuves que nous avons déjà parcouru; mais, pour le franchir et dissiper les ombres, nous avions, comme rameau d’or, une liberté entière. Qu’on nous la rende, et le jour se fera. On peut discuter les candidatures d’ouvriers, on peut les ajourner, on n’y échappera pas; on l’a bien vu il y a vingt ans. Elles sont dans les entrailles de nos institutions. Aucune jusqu’ici n’a eu de caractère sérieux, des circulaires lancées à l’aventure, des ballons d’essai, voilà tout; mais, s’il s’en déclarait de fondées, comment les empêcher d’aboutir? Par elles-mêmes, ces candidatures n’ont rien dont il y ait lieu de s’alarmer; comme les autres, elles sont mêlées de bon et de mauvais. Ce qui est un souci pour les esprits prévoyans, c’est l’association de ces mots : candidatures d’ouvriers et suffrage universel. Les ouvriers, le peuple, si l’on veut, c’est le nombre; le suffrage universel, c’est la loi du nombre. Or qui ne comprend les abus possibles du nombre, et parmi ces abus, l’esprit d’exclusion avec ses caprices, l’esprit de domination avec ses vertiges? Si le nombre n’abuse pas aujourd’hui, c’est qu’il ignore sa force ou en diffère l’emploi; mieux il la connaîtra, plus il s’en servira à son profit exclusif. Problèmes qu’il suffit d’indiquer et qui peuvent se passer de commentaire. C’est donc toujours par un appel à la concorde qu’il faut conclure, c’est le sentiment à introduire