Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

généralement et forcément sceptiques. Ils auront le doute et le rire, l’esprit et l’audace. Ce ne sera plus le temps de l’enthousiasme et de l’espoir, de l’indignation et du combat. On retrouve ces vieilles énergies du passé sur de nobles fronts que le temps respecte, et on les aime spontanément. Qu’ils soient dans l’illusion ou dans le vrai sur l’avenir des sociétés humaines, c’est avec eux qu’on se plaît à y songer, et l’on se sent meilleur en les approchant.

Et pourtant j’aime bien tendrement la jeunesse ; comment faire pour ne pas aimer les enfans, et pour ne pas contempler comme un idéal l’âge de l’irréflexion, où le mal n’est pas encore le mal, puisqu’il n’a pas conscience de lui-même?

La nature, éternellement jeune et vieille, passant de l’enfance à la caducité, et ressuscitant pour recommencer sans savoir ce que vie et mort signifient, est une enchanteresse qui nous défend d’être moroses... Le moyen au mois de février, qui est l’avril du midi, sous un ciel en feu et sur une terre en fleurs, de pleurer sur les roses ou sur les neiges d’antan?

Le lendemain, en quatre heures, nous gagnons Cannes. Le trajet le long de la mer est aussi beau que celui de Marseille à Toulon, et tout cela se ressemble sans s’identifier. Ce qui est nouveau d’aspect pour moi, c’est la chaîne des Mores, montagnes couvertes de forêts et d’une tournure fière avec un air sombre. On les côtoie et on entre dans les contre-forts de l’Estérel, massif superbe de porphyre rouge découpé tout autrement que la Carpiagne, qui est calcaire et disloquée. L’Estérel a la physionomie d’une chose d’art, des mouvemens logiques et voulus comme les ont généralement les roches éruptives. Ses sommets ont peu de brèches, ses dents s’arrondissent comme des bouillonnemens saisis d’un brusque refroidissement. Rien ne prouve que telle soit la cause de ces formes arrêtées et solides, mais l’esprit s’en empare comme d’une raison d’être des lignes moutonnées qui festonnent le ciel et qui descendent en bondissemens jusque dans la mer. Petites montagnes, collines en réalité, mais si élégantes et si fières qu’elles paraissent imposantes. Une grande variété de groupemens, rentrant dans l’unité de plan de la structure générale, peu de blocs isolés ou détachés là où l’homme n’a pas mis la main; des murailles droites inexpugnables, des plissemens soudains arrêtés par des mamelonnemens tumultueux qui se dressent en masses homogènes, compactes, d’une grande puissance. Rien ici ne sent le désastre et l’effondrement. Rien ne fait songer aux cataclysmes primitifs. C’est un édifice et non une ruine; la végétation y prend ses ébats, et le mois de mai doit y être un enchantement.

Cannes, rendez-vous des étrangers de tout pays, doit être pour