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éclatans dans le bleu pur du ciel. Je ne chercherai pas de mots excentriques et peu usités pour te représenter cette magie. Les mots qui frappent l’esprit obscurcissent les images que l’on veut présenter réellement à la vision de l’esprit. Figure-toi donc tout simplement que tu es dans ce charmant vallon, «arrondi au fond comme une corbeille, » que tu me décris si bien dans ta dernière lettre, et que tu vois surgir de l’horizon boisé la Méditerranée servant de base à la chaîne des Alpes. Impossible de te préoccuper de la distance considérable qui sépare ton premier horizon du dernier. Il semble que ce puissant lointain t’appartienne, et que toute cette formidable perspective se confonde sans transition avec l’étroit espace que tes pas vont franchir, car tu es tenté de t’élancer à la limite de ton vallon pour mieux voir. — Ne le fais pas, ce serait beau encore, mais d’un beau réaliste, et tu perdrais le ravissement de cet aspect composé de trois choses immaculées, la végétation, la mer, les glaciers. Le sol, cette chose dure qui porte tant de choses tristes, est noyé ici pour les yeux sous le revêtement splendide des choses les plus pures. On peut se persuader qu’on est entré dans le paradis des poètes... Pas une plante qui souffre, pas un arbre mutilé, pas une fortification, pas une enceinte, pas une cabane, pas une barque, aucun souvenir de l’effort humain, de l’humaine misère ni de l’humaine défiance. Les arbres de tous les climats semblent s’être donné rendez-vous d’eux-mêmes sur ce tertre privilégié pour l’enfermer dans une fraîche couronne, et ne laisser apparaître à ceux qui l’habitent que les régions supérieures où semblent régner l’incommensurable et l’inaccessible.

Le créateur de ce beau jardin a-t-il eu conscience de ce qu’il entreprenait? A-t-il vu dans sa pensée, lorsqu’il en a tracé le plan, le spectacle étrange et unique au monde qu’il offrirait lorsque ses plantes auraient atteint le développement qu’elles ont aujourd’hui? Si oui, voilà un grand artiste; si non, s’il n’a cherché qu’à acclimater des raretés végétales, disons qu’il a été bien récompensé de son intéressant labeur.

Mais tout passe ou change, et il est à craindre que dans quelques années les arbres, en grandissant, ne cachent la mer. Quelques années de plus, et ils cacheront les Alpes. Il faudra s’y résigner, car si on émonde les maîtresses branches pour dégager l’horizon, leur souple feston de verdure perdra sa grâce riante et ses divins hasards de mouvement. Ce ne sera plus qu’un beau jardin botanique.

Ainsi du petit bois de pins, de lièges et de bruyères blanches en arbres qui s’élevait au-dessus de Tamaris, et d’où l’on voyait la mer et les collines à travers des rideaux de fleurs. J’y ai contemplé de petites plantes, le Dorycnium suffruticosum et l’Epipactis anci-