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qui s’est donné pour mission de réunir les chants populaires des Magyars, — Petöfi, le poète inspiré de la liberté et de la révolution, — Arany, dont les poèmes d’une touchante simplicité ont pénétré jusqu’au fond des campagnes et ont été accueillis avec enthousiasme même par les Serbes, les Slovaques et les Polonais, — des historiens comme Horváth, des romanciers comme Jósika et Jókay, des publicistes comme Eötvös, une foule d’autres écrivains encore, ont permis à la Hongrie d’affirmer qu’elle aussi avait une littérature nationale. Une même inspiration animait tous ces écrits, l’amour de la patrie et la haine du despotisme étranger. L’écrivain Sealsfield fait à ce sujet une remarque très juste. « La poésie hongroise se distingue pour moi, dit-il, de celle des Allemands en ceci qu’elle est plutôt l’expression de la nation que celle des individus. » Quand en effet une même passion possède tous les cœurs, il est naturel qu’avec plus ou moins de talent les écrivains émettent des idées semblables. Pour donner un centre à l’évolution littéraire, une académie fat fondée en 1827 par l’initiative privée, et les magnats y apportèrent leur souscription, avec cette générosité tout anglo-saxonne qui ne connaît point de bornes quand il s’agit de l’intérêt public. Esterhazy donna 80,000 francs, Karolyi 125,000, Batthiany 150,000, Széchenyi 160,000.

Tant que les Magyars se contentèrent de fortifier leur propre nationalité et de la défendre contre les empiétemens du germanisme, ils n’excitèrent que les sympathies des autres races, aussi hostiles qu’eux à la centralisation du gouvernement autrichien. Comme le remarque M. Eötvös, dans toute l’histoire de Hongrie il n’y a pas de traces de rivalités nationales. Toutes les races défendaient la patrie commune ; les Hunyadi étaient Roumains, les Zrinyi, Croates. Les difficultés surgirent quand on commença de faire usage du hongrois au sein de la diète. Au moyen âge, la langue officielle avait été le latin, et elle l’était restée parce que, en sa qualité de langue morte, elle avait cet avantage de n’humilier aucun des idiomes vivans. Les affaires se traitant en latin, même dans les assemblées des comitats, le hongrois, le croate, le roumain, restaient à l’état de patois, sur le pied d’une parfaite égalité ; mais, si l’on se servait désormais du magyar, ce dialecte devenait langue dominante, et tout le monde était tenu de l’apprendre, ou n’avait plus qu’à se taire. Les Slaves, les Roumains, ne connaissant que leur langue maternelle, étaient frappés d’incapacité politique.

La proposition d’employer désormais le hongrois fut faite pour la première fois à la diète de 1830. Le mouvement national des Slaves du sud se dessina aussitôt. Les circonstances, il est vrai, y poussaient. L’affranchissement de la Grèce, les questions de race